Du foot et des filles…

  • Publication publiée :15 juillet 2018
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En Angleterre en 1921 les femmes furent bannies des terrains des clubs de la Football Association, quand après un match de Noël ayant rassemblé plus de 53000 spectateurs, les dirigeants de la F.A. redoutèrent que le football féminin dépasse en popularité celui des mâles ; une exclusion levée en… 1971 ! Une information extraite de La Passion du football, Hugh Hornby, éd. Gallimard – [Un article de Corinne Chiaradia paru en 2007 dans le n°47 de Citrouille]

D‘une part, le football est sans conteste une valeur sûre de l’édition jeunesse, pas forcément en termes de qualité d’écriture (quoique cela arrive aussi) mais en termes d’accroche. Il suffit de consulter quelques catalogues d’éditeurs pour constater que « Football » est souvent une entrée thématique référencée, ce qui n’est pas le cas de « Politique », « Machisme » ou « Bobsleigh ». Ce sport partage avec la danse et l’équitation le privilège de séries dédiées (Gagne ! chez Pocket, ou Fooot ! chez Bayard). D’autre part le football féminin, quant à lui, s’est développé à la fin du XIX siècle et a été popularisé en Angleterre (entre autres par le « British Ladies Club » de Londres). De nombreuses filles le pratiquent aujourd’hui et il existe d’ailleurs une Coupe du monde féminine (dotée d’un trophée plaqué or quand celui du Mundial masculin est en or massif 18 carats…). Pour les enfants, la mixité est la règle théorique dans les clubs français jusqu’à treize ans. La pratique du foot par les filles reste toutefois encore étonnamment discrète en France. Une discrétion reflétée par l’édition jeunesse ? Quelle est la place faite aux têtes, aux mollets et aux cœurs féminins dans les pages footballistiques à destination des jeunes lecteurs ? Comment les filles y tiennent-elle les rôles de supportrices et/ou joueuses et/ou empêcheuses de dribbler en rond ? Pour répondre à ces questions, nous nous sommes jetées pieds en avant dans la lecture de quelques albums et roman footballeux. Bien sûr ce ne sont que quelques exemples, pris presque au hasard de nos tables de libraires. Mais impossible de faire le tour de tout ce qui s’écrit et se dessine autour d’un ballon rond sur fond vert, tout Citrouille y passerait !

Parmi les livres recensés, certains ont une fille pour personnage principal. Ils sont assez rares, mais existent depuis qu’en 1995, avec Fous de foot de Fany Joly, les apprenties footballeuses ont effectué une entrée remarquée en littérature jeunesse. Ce roman retrace avec humour les déboires d’une jeune adepte qui peine à se faire admettre dans l’équipe locale, quand bien même elle serait une excellente recrue. En guise de représailles anti-sexistes, elle imagine monter une équipe féminine, mais ne rencontre que scepticisme et raillerie de la part de ses congénères. Tout finira bien quand l’occasion lui sera donnée de montrer, enfin, son coup de pied magique. Ce roman connut un très vif succès et, couronné par plusieurs prix, il a été plusieurs fois réédité. Sa trame est des plus classiques et il représente bien la catégorie des footballeuses héroïques que l’on nous présente sur le mode défensif, victimes de moqueries ou de l’incrédulité des joueurs, des entraîneurs ou de leur propre entourage. C’est aussi le cas de Monelle (Monelle et les footballeurs, de Geneviève Brisac), une pionnière dans son collège où aucune fille n’a jamais joué au foot, comme le lui apprend la conseillère d’éducation, prévenante. Idem pour la mal-aimée Agathe (Je ne suis pas comme toi, d’Isabelle Rossignol), dix ans et une sainte horreur des tares féminines : jupes, danses, minauderies… et émotions. Agathe met autant d’acharnement à ne pas montrer ses sentiments qu’à perfectionner ses tirs au but. Sa mère ne partage pas la passion du ballon, ni le goût pour les survêtements de sa fille. Ce roman, d’une grande sensibilité, est moins le portrait d’une footballeuse en herbe que celui d’une gamine écorchée vive qui a toutes les peines du monde à dire « je t’aime » et à communiquer avec sa mère. À noter qu’une bagarre à l’école est punie par un concours de rédaction pour toute la classe, où la consigne est de créer un héros de sexe opposé au sien. Agathe écrit tranquillement : « Je m’appelle Martin et j’ai neuf ans. Tout le monde me traite de fille parce que je fais de la danse. »

D’une manière générale, on regrette un peu que les livres qui mettent en scène des footballeuses appliquent souvent les mêmes tics et travers que ceux qui ont des garçons pour héros : survalorisation de la compétition, du champion, du gagneur… L’égalité est-elle à ce prix, jusque dans les albums et documentaires pour les plus petit(e)s ? Monelle ne s’en sort que parce qu’elle est surdouée et marque des buts… Lutter contre le machisme par le vedettariat ? Il semble que l’excellence soit indispensable pour pratiquer un sport quand il y a opposition. Au fond, ce n’est pas si réjouissant… et pas sûr que cela rassure les petites filles qui voudraient – simplement – s’amuser avec un ballon, sans être pour autant des zidanettes en herbe… Mais cette règle souffre quand même quelques belles exceptions, qui « jouent le jeu » de la mixité, ou au moins de l’égalité des plaisirs et talents potentiels, sans transformer le moindre personnage féminin en wonderwoman ou en pom pom girl… Rotraut Susanne Berner avec Tommy joue au foot offre un album qui ne nous parle pas d’un « super-héros-footballeur-futur-champion-du-monde » mais qui met en scène une après-midi de jeu familial et débridé. Voilà du foot-plaisir, totalement mixte (jeunes, vieux, petits, gros, grands, hommes, femmes, enfants, famille, voisins, passants, taupes et canards). Garçons et filles partagent le même plaisir de jouer, la même énergie loufoque et sérieuse à la fois… Dans Le Match d’Alice (d’Arnaud Almeras et Béatrice Rodriguez), une petite fille après une partie improvisée avec son père et d’autres grands garçons décide d’organiser un match pour son anniversaire : c’est bien mieux que la danse (qui fait fuir les garçons) ou la pêche aux canards. Cette première lecture sympathique parle bien du plaisir de jouer à six ans, que l’on soit fille ou garçon. Le tout introduit par une relation père/fille crédible. En fait, les hésitations d’Alice au départ tiennent moins à son inexpérience (« c’est du sérieux… il y a des grands… ils jouent avec un vrai ballon ») qu’à son sexe. Un progrès !

Voyons maintenant du côté des titres, pléthoriques, qui ont un garçon pour héros. Comment les personnages féminins y interviennent ou pas, sur le terrain ou dans l’entourage des joueurs… Première impression : les filles y brillent d’abord souvent par leur absence. Aucune fille à l’horizon dans le documentaire première découverte Football, ni dans le grand classique Fous de football de Colin McNaughton : bien qu’il s’agisse de jeu amical avec des supporters bon-enfants, de foot de quartier (l’Ajax d’Alexandre contre le Real d’Isidore), ours, chien renard, cochon, lapin se partagent le terrain… mais de femelle point ! Marcel le magicien (d’Anthony Browne) affronte, quant à lui, sa peur et des gorilles, mais aucune guenon. Idem pour Le Footballeur Totof de Lionel Koechlin ou Footballeur tout court de Dedieu. Celui-ci, qui introduit une bonne dose d’humour dans un monde de poncifs, nous montre un lapin bleu arborant du seyant maillot jaune orné d’un énorme 10 rouge, un lapin bleu qui sait jongler avec le ballon, se blesse, se dore la pilule à la piscine, fait aussi des publicités et des lessives presque tous les jours… sauf que, c’est un lapin rose qui étend le linge. Normal, puisque quand on est footballeur « on se marie avec des blondes ».

En revanche il existe moult nouvelles et histoires courtes mettant en scènes des situations variées du point de vue masculin/féminin. Le recueil Droit au but (nouvelles de W. Crouch, P. Dixon, A. Gibbons, M. Hardcastle, A. MacDonald) est à ce titre un bon exemple. Il rassemble cinq textes dans lesquelles les matchs et la technique se tirent la part du lion. Cela dit, l’ensemble est plutôt plaisant dans la diversité des situations et des caractères qu’il expose et, au-delà des anecdotes, chaque histoire est une variation sur l’esprit d’équipe et l’amour du sport. Trois nouvelles sur cinq ont un élément féminin. Dans la première (Que du bonheur ! d’Alan Gibbons), la sœur de l’un de joueurs est au cœur de l’enjeu d’un tournoi local, dont les vainqueurs recevront un prix en argent à affecter à un projet de solidarité : or Ramila est très malade et la victoire aiderait à financer son opération aux États-Unis. Ramila n’intervient pas en tant que personnage actif dans l’histoire, juste comme une figure tutélaire, un argument (de poids !) à la motivation des joueurs. La cinquième nouvelle (Droit au but de William Crouch) a pour cadre une équipe en perte de vitesse, dont la cohésion est malmenée par Sydney, un avant-centre exécrable mais surtout le fils d’un gros sponsor. Tous les joueurs rêvent de se débarrasser de Sydney (qui d’ailleurs n’aime pas le foot) sans fâcher son père… La solution viendra du côté des deux seules filles de cette équipe mixte : elles sauveront l’équipe, l’une grâce à son ingéniosité, l’autre la balle au pied. Enfin, L’affaire est dans le sac ! de Peter Dixon, clôt le recueil du côté du clin d’œil, nous invitant à partager les tourments de l’immodeste Jason, capitaine de l’équipe de Tanner, condamné à admirer de loin l’irrésistible Thalia, elle-même capitaine des supporters et pom pom girl, laquelle préfère la compagnie d’un « Grand Nul » à celle du futur David Beckham, ouf !… Pour un panorama quasi exhaustif des clichés, préférez le seizième volume de la collection Fooot ! intitulé Coup franc ! où une jeune fille, belle, blonde, fragile, très intimidante pour les garçons et pas très douée au lycée, sème la zizanie dans l’équipe de Miraval en sortant alternativement avec les deux leaders, Louis le gentil bon élève et Jan le taureau (lequel était d’ailleurs l’ex-petit ami de la sœur de Louis, qui projette de se venger en créant une équipe féminine de débutantes). On croit rêver… Pour se rassurer, je conseillerai la lecture de deux bons romans, qui bien qu’il n’y soit pas question de mixité sportive, présentent une qualité d’écriture et de composition qui les tient éloignés du prêt-à-penser sexiste.

Une équipe de rêve (de Sergio Olguin), tout d’abord, qui met en scène trois jeunes de Buenos Aires – Ariel, Pablo et Ezequiel – unis par leur passion du foot, bien qu’aucun n’envisage une quelconque carrière professionnelle. Ariel travaille dans l’épicerie de son oncle, en bordure du bidonville de Fiorito. C’est de là qu’il voit pour la première fois une jeune fille, Patricia, qui sera l’élément déclencheur de l’intrigue. Les trois amis seront amenés à franchir la frontière de ce territoire interdit, hostile – le bidonville – à la recherche du tout premier ballon de Maradona, volé au père de Patricia. Patricia n’est ni maman ni putain, et si elle ne partage pas l’ardeur footballeuse des garçons, elle connaît le sens profond du cadeau que Maradona fit jadis à son père, et comment il lui a ainsi sauvé la vie. Elle sait également que les rivalités qui se jouent sur les terrains de foot de son pays et de son « quartier » ne se résument pas à un enjeu sportif. Plus arrière-plan que sujet du roman, le foot y est présent comme une donnée sociologique essentielle (seuls deux matchs sont décrits, brièvement et violemment). Une équipe de rêve est ainsi moins un roman d’apprentissage sportif, qu’un roman d’initiation, initiation à la complexité des relations homme-femme comprise.

Enfin, je dirai quelques mots du Gardien (de Malcolm Pett), sans conteste l’un des meilleurs titres de notre échantillon. Par sa qualité d’écriture, sa puissance évocatrice et son étrangeté, qui emportent l’adhésion au-delà de l’intérêt pour le sport. On croit avoir affaire à un récit-type « naissance et ascension d’un champion né dans la misère » et l’on se trouve confronté aux souvenirs d’un homme complexe, pétri de doutes, et moins attaché à sa réussite qu’à ses origines, aussi troubles soient-elles. La même attention est portée à la description de la forêt, de la faune et de la flore amazoniennes, à la relation ambiguë du héros à son mentor ou aux techniques de domination psychologique de l’adversaire. Le mystérieux gardien, qui initie le narrateur, tient un rôle de passeur entre deux personnages féminins secondaires mais très forts, les deux seules figures féminines intervenant dans le récit. D’une part la mère, aimée et crainte, rêve pour son fils d’une réussite passant par les études. Un rêve d’ascension sociale totalement inaccessible, au point que l’enfant pour ne pas blesser sa mère s’invente une passion pour la botanique afin de justifier ses entraînements en forêt… À l’opposé, cette autre femme, bourgeoise richissime, qui propose au jeune El Gato son premier contrat dans un club digne de ce nom, c’est-à-dire loin de la boue des chantiers de déforestation, loin de celui qui lui a tout appris… et loin des rêves d’instruction maternels. Le livre ne nous dit pas – et c’est heureux – de quel côté penche la femme de footballeur idéale !

Corinne Chiaradia, Librairie Comptines à Bordeaux – 2007, Citrouille n°47

Références des ouvrages cités

Coup franc !
Patrick Bruno, éd. Bayard jeunesse, coll. Bayard poche « Fooot ! »

Droit au but
W. Crouch, P. Dixon, A. Gibbons, M. Hardcastle, A. MacDonald, ill. Pierre Bailly, traduit de l’anglais par Bertrand Ferrier. Éd. Gallimard jeunesse, coll. Folio junior

Le Football
Pierre-Marie VALAT (texte & ill.), Donald GRANT, Jame’s PRUNIER (ill.), éd. Gallimard jeunesse, coll. Mes premières découvertes techniques

Footballeur
Thierry DEDIEU (texte & ill.), éd. Seuil jeunesse, coll. Les métiers de quand tu seras grand

Fou de football
Colin McNAUGHTON (texte & ill.), éd. Gallimard jeunesse

Fous de foot
Fany JOLY & Christophe BESSE (ill.), éd. Casterman, coll. Casterman cadet

Le Gardien
Malcolm PEET, traduit de l’anglais par Olivier Malthet, éd. Gallimard jeunesse, coll. Hors-piste

Je ne suis pas comme toi
Isabelle ROSSIGNOL, éd. L’École des loisirs, coll. Neuf

Marcel le magicien
Anthony BROWNE, éd. Kaléidoscope

Le Match d’Alice
Arnaud ALMÉRAS (texte) & Béatrice RODRIGUEZ (ill.), éd. Bayard jeunesse, coll. Mes premiers j’aime lire

Monelle et les footballeurs
Geneviève BRISAC, éd. L’École des loisirs, coll. Neuf

La Passion du football
Hugh HORNBY, Andy CRAWFORD (photos originales), en association avec le musée du football à Londres, adaptation et traduction Véronique Dreyfus, éd. Gallimard, coll. Les Yeux de la découverte

Tommy joue au foot
Rotraut Susanne BERNER (texte & ill.), éd. Seuil jeunesse

Une équipe de rêve
Sergio S. OLGUIN, trad. de l’espagnol (Argentine) par Laura Ciezar, éd. Seuil / Métailié