« Je me demande si le foot ne parle pas d’écriture.» (une interview de Jean Noël Blanc)

  • Publication publiée :15 juillet 2018
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Jean-Noël Blanc est né en 1945. Ecrivain, sociologue spécialisé dans l’architecture et l’urbanisme, Il vit à Saint-Étienne. Il est l’auteur d’une vingtaine de livres, publiés en adulte et en jeunesse. Madeline Roth (Librairie L’Eau Vive) a eu envie de le rencontrer. – Un article paru dans le n°47 de Citrouille (2007)

Dans Jeu sans ballon, Jean-Noël Blanc fait dire à son personnage : « Un footballeur, c’est quelqu’un qui fabrique du rêve pour lui et qui le distribue tout de suite aux autres ». Moi je n’ai pas la télévision, je ne regarde pas les matchs de foot, et malgré toute une famille – ou presque – partagée entre l’Olympique Lyonnais et Saint-Étienne, je n’aime pas ça. Mais j’ai lu Jeu sans ballon, et j’ai ressenti un plaisir immense. L’écriture, c’est sans doute ça aussi, du rêve que l’on distribue. … J’ai lu Jeu sans ballon, parce qu’avant j’avais lu Fil de fer, la vie, Bardane, par exemple, ou encore Tête de moi. Et qu’il y a, dans les textes de Jean-Noël Blanc, une parole qui me touche. Qui dit le petit dans le grand, qui dit l’homme dans l’Histoire. Plusieurs de ses textes sont comme des « romans par nouvelles » : des recueils de nouvelles dont chaque texte peut être lu indépendamment, mais dont l’ensemble constitue une sorte de « roman éclaté ». Dans plusieurs textes également, Jean-Noël Blanc mélange le sport et le polar : magouilles financières du football, dopage au cyclisme, combats de chiens. Petite interview, trop courte, sur le sport et l’écriture, autour de deux de ses livres, Jeu sans ballon et Tête de moi.

Madeline Roth : La dernière nouvelle du recueil Tête de moi se termine par ces mots : « Je me demande si le foot ne parle pas d’écriture. Le foot m’a peut-être appris à écrire ». Quel rapport établissez-vous entre le sport et l’écriture ?
Jean-Noël Blanc : C’est un rapport assez curieux, plus évident si l’on rapporte l’écriture aux sports individuels (pas mal d’auteurs sont d’ailleurs adeptes du vélo…). Mais de toute façon, même si l’on est en groupe, le sport c’est un effort que l’on fait seul. Et c’est cet effort solitaire qui ressemble à l’écriture d’un roman. Dans le sport, il s’agit de trouver l’équation exacte entre la pente, la force qu’on a, la respiration, le développement. Pour écrire c’est un peu pareil. Il faut réussir à faire la synthèse de plusieurs choses, dont des aspects très techniques. Je dis souvent que mon plaisir au foot, c’est de faire une belle passe. En bien avec l’écriture, c’est pareil. Mais en France, il y a une saleté d’opposition entre les intellectuels et les sportifs. Les intellectuels ont une attitude méprisante envers le sport. Ça ne serait pas digne, le sport. Aux Etats-Unis ce n’est pas comme ça. Il y a beaucoup de romans américains qui tournent autour du sport, et notamment de la boxe. En France, très peu. Et dès qu’un écrivain écrit quelque chose sur le sport, on tient ça avec des pincettes.

Madeline Roth : Pensez-vous que le sport a une place particulière à tenir en littérature jeunesse ?
Jean-Noël Blanc : Oui, surtout pour les garçons et notamment ceux « qui ne lisent pas ». Parce qu’avec un texte qui parle de sport, ils lisent. J’ai des retours qui me le montrent. Aussi le sport peut -t-il occuper une place singulière à cet endroit, mais à condition qu’on ne fasse pas des bouquins édifiants. A condition que le sport ne devienne pas le prétexte pour faire passer une belle leçon de morale, où tout se termine bien. Parce que ça, c’est un réel mépris pour les lecteurs. Et un réel mépris de l’écriture. Lorsque j’ai commencé la nouvelle Tête de moi (un jeune boxeur, Nouredine, se fait tabasser par des skins), je ne savais pas du tout que je parlerais de ça, que j’écrirais cette fin parfaitement injuste, parfaitement dégueulasse. Et c’est peut-être ce qui fait la force de ce texte : t’as une saleté dans les doigts, t’en fais quoi ? Les lecteurs comprennent très bien. Dans une des rencontres que je fais avec les lecteurs, une jeune fille, une fois, n’osait pas poser sa question. Elle a attendu que tout le monde sorte et elle venue me demander si pour gagner il fallait être méchant. Oui, il faut être méchant, contre soi-même, pour aller aussi loin qu’on peut. C’est pas du tourisme. C’est d’ailleurs ça qui frappe les ados, c’est ça qui les intéresse. Le sport ce sont des histoires humaines. Des hommes ou des femmes qui se dépassent, qui vont au bout d’eux-mêmes. Et cela arrive très peu ailleurs – sauf peut-être dans des états amoureux extrêmes, ou à la guerre, mais je n’ai pas trop envie de parler de la guerre… Le sport ça raconte toujours une histoire. Y’a les bons et les méchants. Des renversements de situation, la peur, les méchants, les traîtres. C’est une histoire.

Madeline Roth : Ne pensez-vous pas que les jeunes qui font du sport de haut niveau y laissent un peu de leur enfance ? Dans Jeu sans ballon, on a le sentiment qu’il a vraiment vieilli trop vite, ce personnage…
Jean-Noël Blanc : Jeu sans ballon, c’est un roman d’initiation qui dure le temps d’un match. 90 minutes au lieu d’une année… C’est pour ça. Autrement oui. on peut sans doute y perdre de l’enfance. Maintenant, quand d’anciens coureurs du Tour de France me parlent du passé, je les vois vraiment heureux. Ce sont de grands gamins, ils ont des souvenirs extraordinaires. Finalement, peut-être qu’alors l’enfance se retrouve sur le tard…

Propos recueillis par Madeline Roth, Librairie L’Eau Vive – un article paru dans le n°47 de Citrouille en 2007

Jeu sans ballon
Jean-Noël Blanc
Points virgule, Seuil
La finale de la Coupe des Coupes au mythique stade du Nou Camp, à Barcelone, vécue du banc de touche par un adolescent. Le récit se déroule en trois temps. Première période, mi-temps, seconde période. Les voix alternent, entre le joueur qui ne joue pas et les commentateurs télé. Le match qui se joue et dont l’on parle ici, c’est aussi le match d’une vie, le récit d’un gamin de banlieue parachuté dans l’argent, la gloire et le rêve.

Tête de moi
Jean-Noël Blanc
Scripto, Gallimard jeunesse
Quinze nouvelles qui traitent du sport avec un regard acéré et une écriture dense et presque sévère. Quinze petits textes ciselés au plus précis des mots, qui parlent de cyclisme, de boxe, de course, de tennis, qui parlent de la vie lorsqu’elle s’efface sous les coups du destin.