Gudule : «J’écris avant tout 
pour l’adolescente que j’ai été.»

  • Publication publiée :3 septembre 2018
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Une interview de Gudule publiée dans le n°36 de Citrouile – 2003. 

Gudule, vous êtes auteur de livres s‘adressant aux adolescents. Est-ce un choix de votre part?
Au départ, ce n’est jamais un choix. On écrit ce que l’on ressent. Il se fait que les thèmes que j’aborde et ma manière d’écrire touchent les adolescents, voilà tout. J’en veux pour preuve mon premier roman – c’était la version précédente de La vie en Rose. Paru dans une collection pour adultes, il n’a pas trouvé son public, contrairement à aujourd’hui où qu’il se trouve dans une collection pour ados…

Comment situez-vous ces textes par rapport à votre adolescence et aux adolescents aujourd’hui?
J’écris avant tout pour l’adolescente que j’ai été (et que je n’ai jamais cessé d’être, malgré mon âge). Les émotions, les révoltes, les désirs, les rêves que j’y décris sont éternels. Je n’ai pas à me forcer pour les aborder, ils sont toujours vivaces en moi. Pour le reste – les modes vestimentaires, le langage, les loisirs, bref, l’aspect anecdotique du comportement actuel -, j’ai la chance d’être entourée d’ados depuis longtemps… Mes enfants, d’abord, et aujourd’hui, mes petits-enfants. Les observer, les écouter, discuter avec eux me met en prise sur leurs centres d’intérêt et leur manière d’être qui, je peux bien l’avouer, me fascine.

Les collections pour adolescents vous semblent-elles une étape pour faire accéder à la littérature adulte un public a priori « peu lecteur »?
En tant qu’auteur, cette notion réductrice me déplaît. Elle signifierait qu’on fabrique sur mesure une sous-littérature gnangnan, ce que je conteste à plusieurs niveau. D’abord, parce que mes livres, je ne les « fabrique » pas mais que j’y mets le meilleur de moi-même (comme d’autres auteurs). Et ensuite, parce cela suppose une condescendance envers ce type de lecteurs, qui ne seraient en l’occurrence que des sous-lecteurs. Et cela me dérange beaucoup voyez-vous…

De nombreux sujets sensibles sont abordés aujourd’hui dans les romans lus par des jeunes dès 13 ans…
Pourquoi la littérature n’aborderait-elle pas ce à quoi les jeunes sont confrontés journellement – et souvent de manière bien plus abrupte – dans les autres médias? La télé et la presse ressassent tous ces thèmes, à travers la fiction ou l’info, et personne ne s’en formalise. Le livre est et a toujours été un témoin de son temps. Le tronquer d’un certain nombre de sujets auxquels le public, quel que soit son âge, est de toute façon confronté, me semble le comble de l’hypocrisie. Par ailleurs, une oeuvre est avant tout le reflet des préoccupations de son auteur. Si ces préoccupations rejoignent celles du lecteur, l’osmose s’opère. Dans le cas contraire, il n’y a pas de rencontre possible. Ceux que l’homosexualité, par exemple, tourmente ou intrigue, trouveront dans les textes traitant de ce thème un écho et des réponses à leurs questions. Ceux qu’elle n’intéresse pas choisiront d’autres livres, plus conformes à leurs centres d’intérêt. Pourquoi le rapport livre-lecteur fonctionnerait-il différemment dans la littérature pour ados que dans la littérature tout court ? Je voudrais également ajouter que, « de mon temps », il n’y avait pas de littérature pour les adolescents. A quatorze ans, je lisais Blaise Cendrars, Malraux ou Henri Miller. Les thèmes qu’ils abordaient et la manière dont ils en parlaient étaient mille fois plus crus que ceux qui, aujourd’hui, « choquent » dans les collections pour adolescents. Pourtant, en ce temps-là, on ne se posait pas la question! Au sortir de la Bibliothèque verte, on jugeait le lecteur assez mûr pour s’ouvrir à la « grande » littérature. Les précautions que l’on prend aujourd’hui, alors que nos enfants sont bien plus précoces et déphasés que nous ne l’étions à leur âge, ne nous seraient-elles pas dictées par la culpabilité de leur avoir fait, justement, un monde aussi dur? Ça pourrait être intéressant de se poser la question, non?…

Propos recueillis par la librairie La Courte Échelle à Rennes