Lutteur ou lecteur? – ou comment concilier deux passions dévorantes…

Les articles de Citrouille dans le rétro — Voici la confession d’une mère dont le fils est SHN (traduisez Sportif de Haut Niveau). Pourquoi «confession»? A cause d’un petit hiatus. La mère est libraire jeunesse… Comment concilier ces deux passions dévorantes et apparemment opposées: pour l’une les livres, pour l’autre le sport?  

Tout d’abord, résumons le parcours de Vincent.

Initié par son son oncle, qui en son temps avait déjà brillé sur les tapis, mon fils a commencé la lutte gréco-romaine dès l’âge de quatre ans. Puis arraché à sa famille (c’est le coeur d’une mère qui vous parle !) à l’âge de douze ans par la FFL (Fédération Française de Lutte), Vincent est parti à Font Romeu, en pension dans un collège Sport-Etudes. Le BAC, puis en 2000 l’INSEP à Paris  où il a fait partie de l’équipe de France et suivi en même temps un cursus universitaire. Pour des championnats ou des stages d’entraînement, Vincent a visité d’innombrables pays, notamment les pays de l’Est (Bulgarie, Ukraine, Russie, Roumanie…), la lutte y étant le sport national. Il est allé plusieurs fois à Cuba, en Afrique du Sud, en Grèce… Palmarès: douze fois champion de France en Minime Cadet Junior, deux fois en Senior. Plus une participation aux Jeux Olympiques d’Athènes, en tant que remplaçant. Vincent a aujourd’hui 32 ans. Et moi, sa mère, je me souviens…
Je me souviens, lorsqu’il était petit, l’avoir inondé d’histoires du soir. Je me souviens aussi avoir laissé traîné des ouvrages bien en évidence, en m’exclamant «Vincent, j’ai lu ce roman, il est génial, prends-le!». «Pas le temps, M’an, j’ai les France ce week-end»…

Je me souviens aussi avoir inspecté de fond en comble le rayon «sport» de la librairie pour lui trouver un beau documentaire sur la lutte. En 31 ans d’activité, je n’ai dégotté que quelques lignes sur ce sport confidentiel… qui fut un des premiers de l’humanité! 
Alors, le constat est tombé, comme un couperet: mon fils ne lit pas! Instant pathétique… Je soutenais que lire voulait dire ouverture sur le monde. Du haut de ses 20 ans, il me répondit un jour : «J’ai déjà tant voyagé dans ce monde, je me suis nourri de la richesse de tous ces peuples rencontrés. Toi, tu vis par procuration grâce à tes livres ». Encore un moment pathétique !

Et puis Harry Potter est arrivé !… Ce fut la première fois de ma vie que je vis mon fils un livre à la main. Et ce fut comme si j’avais gagné le championnat de France des libraires! Enfin… En réalité ce sont ses copains sportifs (même pas moi!) qui l’ont poussé à lire Harry Potter en lui en rabattant les oreilles. Il se sentait piteux de ne pas vibrer avec eux à cette histoire. Il s’y est mis, et les a tous lu. Lectures qui enclenchèrent chez lui le plaisir de lire. Depuis, il lit Werber, John Irving (lui même lutteur!) Grangé, Coelho. Je sais, ce n’est pas encore de la grande littérature, mais désormais, les livres font partie de sa vie.

Etre la mère d’un SHN, n’est pas de tout repos, questions sensations fortes. J’ai souvent pleuré. Pleuré de rage lorsque je ne pouvais me libérer pour assister à un championnat important. Pleuré d’angoisse et d’effroi lorsque l’on m’appelait à la librairie pour m’annoncer que Vincent était à l’Hôpital. Pleuré de joie et de bonheur lorsqu’il gravit la plus haute marche du podium sous des tonnerres d’applaudissements. Et je comprenais dans ces moments là, combien Vincent vivait intensément. Combien sa vie ressemblait aux personnages des romans les plus fous, parsemée des sentiments les plus forts. Abnégation, sens de l’effort, maîtrise de soi, courage, ténacité, volonté, déception, souffrance, peur, joie, bonheur. Tout ce à quoi je voulais l’ouvrir, il le vivait déjà…

D’ailleurs peut-être à mon image… Car toutes ces qualités, toutes ces émotions, ne sont-elles pas aussi celles qu’exige et procure le métier de libraire indépendant ? 

Florence, librairie Papageno à Clermont Ferrand (2010)