Maurice Lomré, traducteur de Spinder : «Lorsque l’on change de langue, on change d’instrument.»

  • Publication publiée :19 novembre 2018
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«Ce qui m’a séduit, à la lecture de Spinder avant que je ne le traduise, c’est l’audace, le mystère, l’énergie, l’originalité, le ton, le propos. Mais aussi la douleur et la douceur que j’ai éprouvées. Douleur et douceur, deux mots qu’une seule lettre distingue… Je n’avais encore jamais lu un tel livre.» Une interview du traducteur Maurice Lomré par Pierre Cerfontaine, Librairie L’Oiseau Lire.


PIERRE CERFONTAINE: La difficulté pour le traducteur n’est-elle pas de rendre la musicalité d’une langue dans une autre langue?
MAURICE LOMRÉ: Restituer la musique originale d’une oeuvre est quasi impossible, sauf si les deux langues sont très proches du point de vue de la sonorité. L’enjeu, quand on passe comme ici du néerlandais au français qui sont des langues assez éloignées l’une de l’autre, c’est de restituer un rythme et un ton qui produisent un effet proche sur le lecteur. Je vais oser une comparaison musicale. Imaginons une partition écrite pour le piano. Eh bien, lorsque l’on change de langue, on change d’instrument. Et il faut tout mettre en oeuvre pour que la partition soit aussi harmonieuse si elle est jouée au violon. Cela nécessite parfois quelques ajustements. La musique d’un livre, outre son sujet et sa composition, est indispensable à sa réussite. C’est ce que l’on appelle la voix.
L’écrivain est un créateur. Le traducteur en est-il un autre?
Le traducteur doit faire preuve de créativité, mais ce n’est pas un créateur dans le sens où je l’entends. Je vais utiliser une autre métaphore musicale. Le traducteur est l’interprète d’une oeuvre, mais il ne l’a pas composée. Son souci est d’ordre linguistique. Il travaille sur la forme, mais pas sur la construction de l’histoire, ni sur les personnages, ni sur les idées. Il doit toutefois faire preuve d’une certaine «sensibilité». Et il y a des livres que l’on a du mal à «sentir», à «entendre» et donc à traduire.
Quelles difficultés as-tu rencontrées pour traduire ce roman de Simon van der Geest?
Des difficultés, il y en a toujours… Dans ce texte écrit à la première personne, j’ai particulièrement veillé à ne pas «surtraduire», à ne pas sortir du registre langagier du narrateur. Or il faut parfois beaucoup chercher pour trouver des résultats satisfaisants. Le néerlandais est souvent plus direct que le français. Comme je l’explique dans une note du livre, j’ai également choisi de ne pas traduire le surnom du personnage principal, c’est-à-dire Spinder. Comme je n’arrivais pas à trouver d’équivalent satisfaisant en français, j’ai préféré jouer la carte de l’honnêteté avec le lecteur et conserver le nom original. Par chance, Spinder sonne très bien en français.
Du néerlandais, tu as par ailleurs traduit Gus Kuijer, qui a reçu le prestigieux prix Astrid Lindgren en 2012…
Guus Kuijer est un auteur que j’admire beaucoup, et qui m’a marqué. J’ai recommandé et traduit ses derniers livres pour la jeunesse, la série des Pauline et Le livre qui dit tout, mais il avait déjà été publié en français dans les années 1980 et 1990 (La maison au fond du jardin, Les grandes personnes, Vaudrait mieux en faire de la soupe, Les canards déchaînés). J’étais persuadé qu’il s’agissait d’un auteur important et le prix Astrid Lindgren est venu corroborer cette conviction. Il reste malheureusement peu connu et surtout peu lu en France. Ses romans, qui s’adressent à des lecteurs situés à la frontière entre l’enfance et l’adolescence, ont largement contribué au renouveau de la littérature pour la jeunesse aux Pays-Bas. Il souffle dans chacun d’eux un esprit de liberté. Ce sont des textes réalistes, mais pas toujours, qui font la part belle à la poésie et à la fantaisie. L’art de Guus Kuijer tient entre autres dans sa capacité à suggérer. Il n’explique pas. Il propose et met en scène. Il fait confiance à l’intelligence du jeune lecteur. Qu’ils s’appellent Thomas ou Pauline, ses héros sont toujours saisissants de franchise et de vérité. C’est un auteur qui respecte les enfants.


Propos recueillis par Pierre Cerfontaine, Librairie Sorcière  L’Oiseau Lire à Visé

SpinderDe Simon van der Geest Illustrations de Karst-Janneke Rogaar Traduit par Maurice Lomré éd. La Joie de Lire
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