Toc toc toc… Daniel Beaty ?

  • Publication publiée :15 janvier 2017
  • Post category:Archives
Daniel Beaty @ Nathan Yungerber

«Quand j’étais tout petit, raconte Daniel Beaty, c’est mon père qui restait à la maison pour s’occuper de moi tandis que ma mère était au bureau. ll changeait mes couches, me nourrissait et me portait sur ses épaules pour aller faire des courses à l’épicerie… C’est aussi lui qui me réveillait chaque matin, avec notre petit jeu de toc toc toc. Mais quand j’avais trois ans, il a été incarcéré… Je n’ai pas été autorisé à lui rendre visite avant plusieurs années. À l’époque, comme plus tard devenu adulte, j’ai dû faire face à la douleur causée par l’énorme vide créé par son absence. Et puis, éducateur de jeunes enfants, je me suis rendu compte que beaucoup de mes élèves étaient eux aussi confrontés à l’absence de leur père, qu’il soit emprisonné, qu’il ait quitté la famille après un divorce ou qu’il soit mort. Ce constat m’a incité à raconter l’histoire de cette perte essentielle du point de vue de l’enfant, afin d’apporter à ces jeunes l’espoir qu’ils pourront se construire, eux aussi, la plus belle des vies possible.» Madeline Roth (librairie L’Eau Vive à Avignon) a demandé à l’auteur également comédien, compositeur et chanteur, de nous en dire un peu plus sur son album Toc toc toc publié en France par Little Urban (merci à Geneviève Fransolet, librairie Nemo à Montpellier, pour la traduction!)

Madeline Roth : Le texte de votre album a d’abord été un monologue écrit pour le théâtre, que vous avez joué vous-même sur scène. Comment cette pièce est-elle devenue un livre?
Daniel Beaty : L’illustrateur, Bryan Collier, assistait à une cérémonie de remise de prix au cours de laquelle j’étais récompensé. Et ma récompense était une de ses peintures originales… Dans mon discours de remerciement, j’ai récité le texte de Toc, toc, toc. Papa où es-tu? Et pendant la réception qui a suivi la cérémonie, nous avons parlé et nous nous sommes dit notre admiration respective. C’est à ce moment-là que Bryan m’a demandé si l’idée d’en faire un livre pour enfant avec ses illustrations à lui m’intéresserait et j’ai répondu: «Mais bien sûr!»

Ses illustrations semblent donner de l’espoir, de la douceur, un futur possible au texte, une sorte de ciment…
J’adore les illustrations de Bryan Collier. Elles sont à la fois poétiques et pleines d’espoir. Étant père lui-même, il a compris le texte jusque dans ses moindres détails. Ses illustrations donnent une dimension particulière aux idées que j’essaye de transmettre et que les mots seuls ne peuvent pas exprimer.

Vous êtes éducateur de jeunes enfants et vous vous occupez d’enfants qui ont un père absent. Comment ces enfants réagissent-ils à votre album? Et qu’en est-il des autres enfants? Votre livre peut toucher tous les enfants, y compris ceux qui ont un père, n’est-ce pas? Pour moi, ce texte parle de ce qu’un père peut transmettre à son propre enfant…
Quand je montre mon livre Toc, toc, toc aux enfants, je peux constater qu’ils en saisissent très bien le sens. Je crois que la littérature pour enfants, comme toutes les littératures, ne sert pas uniquement à exposer la propre expérience de l’auteur mais aussi à amener le lecteur vers l’expérience des autres. C’est très émouvant de voir le regard d’un enfant souffrant d’un père absent, quand il se rend compte que le livre raconte aussi son histoire à lui et qu’il n’est donc pas tout seul… Et pour les enfants qui ont la chance d’avoir un père présent, c’est tout aussi émouvant de soudain réaliser que d’autres enfants n’ont pas cette chance…

– Propos recueillis par Madeline Roth (librairie L’Eau Vive) et traduits par Geneviève Fransolet (librairie Nemo)

C’est un enfant qui parle. Sur la première image, il est endormi, souriant. Il attend que son père frappe à sa porte – toc toc toc – avant de sauter dans ses bras et que celui-ci lui dise «je t’aime». C’est leur jeu, quotidien. Mais un matin le père ne vient pas. Et, matin après matin, le père manque. L’enfant lui écrit une lettre, le père répond, quelques mois plus tard. Et sa réponse est bouleversante. Il dit qu’il ne rentrera pas. Mais il explique à son fils comment se raser, quand le moment sera venu. Il lui écrit: «Quant à moi, je ne serai plus là pour toquer à ta porte, alors tu devras désormais apprendre à toquer aux portes toi-même. Toc toc toc, à toutes les portes que je n’ai pas pu franchir»… Écrire cette critique me bouleverse, tout autant que chacune des relectures de ce livre désormais inoubliable. Les illustrations de Bryan Collier, en aquarelles et collages, sont comme une seconde découverte de l’album, une autre voix qui donne à voir l’avenir possible de cet enfant, tout ce qu’il aura à construire. «Ce livre ne traite pas seulement de la perte d’un être cher, c’est un livre sur l’espoir, la capacité de chacun à choisir sa vie et à se réinventer» explique l’illustrateur. Et il a, ô combien, raison.
– Librairie L’Eau Vive