Flon-Flon et Musette [part.3] : Ce n’est pas comme un autre livre que je connais — Cléo, six ans

  • Publication publiée :14 octobre 2018
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En 1993, à la parution de Flon-Flon et Musette, le n°4 de Citrouille publia un texte où Elzbieta expliquait la raison de son ouvrage. Très vite, l’album fit grincer quelques dents. Celles, par exemple, de parents d’élèves qui écrivirent à l’éditeur. Le n°7 de Citrouille proposa alors à Suzy, une institutrice de maternelle, et à Cléo, une de ses élèves de six ans, de réagir. Mis en ligne quelques années plus tard, les articles de ces deux numéros de Citrouille provoquèrent les commentaires d’internautes. Revoici l’ensemble en quatre parties :
– Le texte d’Elzbieta
– Les courriers de parents à l’éditeur
– Les témoignages d’une institutrice, Suzy, et d’une de ses élèves, Cléo
– Les commentaires d’internautes


Le témoignage de Suzy, institutrice de maternelle et d’une de ses élèves, Cléo (six ans)

1 – SUZY – Entretien avec Suzy, une institutrice de l’école maternelle Les Béalières (Meylan, 38) qui a lu l’album  Flon-Flon et Musette avec des enfants de cinq ans et six ans

CITROUILLE : Pourquoi avez-vous choisi d’exploiter l’album “Flon-Flon et Musette” dans votre classe ?

SUZY : Il régnait un climat de violence au sein du groupe, dû en partie aux problèmes familiaux de certains enfants. J’ai estimé nécessaire de verbaliser cette violence pour essayer de la canaliser. J’ai préféré pour cela utiliser un livre comme support, plutôt que de me limiter à une discussion que les enfants auraient très vite risqué de percevoir comme une leçon de « morale » d’un adulte à leur égard, et qui n’aurait par conséquent pas eu le même impact.

CITROUILLE : Ouvrir ce livre, c’était aussi évoquer une expression particulière de la violence humaine : la guerre…

SUZY : Les enfants savent bien que la guerre existe, il ne vivent pas dans une bulle. Il y a la télévision, les journaux, les affiches publicitaires qui les abreuvent de nouvelles qu’ils ne maîtrisent pas. Je crois qu’il est alors utile d’en parler avec eux, plutôt que leur laisser imaginer des choses fausses. Et puis ce livre n’est pas visuellement choquant, comme peuvent l’être certains films ou dessins animés.

CITROUILLE : En quoi parler de la guerre répondait-il à votre volonté de faire face au climat de violence de la classe ?

SUZY : Je voulais situer la violence des enfants par rapport à celle des adultes, établir le liens qui existent entre elles. Mon intention était d’aider les enfants à appréhender leurs actes comme une expression de la violence inhérente à tout être humain, pour mieux leur permettre d’agir dessus. Flon-Flon et Musette permettait ce travail.

CITROUILLE : Quels en furent les résultats ?

SUZY : Les enfants ont d’abord pu analyser leurs comportements et leurs sentiments : pourquoi ils avaient envie de se battre, pourquoi ils se sentaient ensuite coupables et avaient envie de pleurer. Ils se sont rendus compte que les adultes pouvaient ressentir la même chose. Ils ont alors eu envie de faire des efforts pour résoudre les situations tendues. Quand il y avait un problème entre deux enfants, les autres ne les excitaient plus, ils essayaient au contraire de discuter avec eux.

CITROUILLE : Ont-ils projeté leurs nouvelles attitudes dans leur futur d’adultes ?

SUZY : Oui, ils disaient par exemple: «Nous, plus tard, on ne fera pas la guerre. Si aujourd’hui on essaie de ne pas se battre dans la cour, plus tard on évitera la guerre».

CITROUILLE : Flon-Flon et Musette ne leur a donc pas offert une vision traumatisante d’un monde éternellement en guerre ?

SUZY : Au contraire. Ils étaient très confiants dans leur capacité à agir sur l’avenir.

CITROUILLE : Vous avez lu les lettres de parents que nous reproduisons ici; que pensez-vous notamment de leurs réactions à la phrase de l’album: «La guerre ne meurt jamais, il faut faire attention à ne jamais la réveiller» ?
SUZY : Ces lettres posent le problème du statut de l’enfant. Parce qu’il ne serait qu’un enfant, les livres ne devraient pas I’entretenir de telles questions mais lui présenter un monde merveilleux exempt de toute violence. Or l’enfant sait bien qu’il a de la violence en lui. Il connaît aussi la violence des autres (celle des gestes, des mots, des situations). Faut-il le culpabiliser et le désespérer en lui laissant croire à une paix magique qui lui serait interdite à cause de sa violence et de celle de ses proches (les copains, voire la famille) ? L’important était pour moi que l’enfant devienne acteur par rapport à la violence, qu’il puisse agir sur la sienne et se situer par rapport à celle des autres. A la lecture de la phrase que vous citez, les enfants étaient très émus. Ils disaient : «C’est vrai, la guerre ne meurt jamais. Il faut faire attention, il faut faire quelque chose». Leurs réflexions ont étonné plus d’un parent. Encore fallait-il les écouter…

2 – Cléo, six ans, élève de Suzy

CITROUILLE :  Qu’en dis-tu, Cléo ?

CLÉO : Flon-Flon et Musette, c’est un livre qui parle de la guerre mais qui finit bien. Le papa revient, même s’il a une jambe coupée et un bras qui fait mal. L’image de la bataille fait un peu peur, mais il n’y a que quatre morts et c’est des lapins. Ce n’est pas comme un autre livre que je connais. Ce qui fait peur, c’est quand le papa dit : «La guerre va bientôt arriver». C’est le mot guerre qui fait peur. Si on en envie de lire cette histoire, on la lit. Si on n’a pas envie, on ne la lit pas.


Flon-Flon et Musette