Illustration de Claude Lapointe ©
Souvenirs, souvenirs… – J’ai toujours dit que mon premier livre était Pierre l’Ebouriffé paru en 1972. J’ai fait ce livre en complicité avec les deux éditeurs Harlin Quist et François Ruy Vidal, dans une ambiance de créativité enthousiasmante propre à ces années là. Créer un univers contemporain à ce personnage du 19ème siècle (le Struwelpeter d’Heinrich Hoffmann) a été très excitant et m’a fait plonger dans le monde de l’édition de jeunesse. Je me revois chercher le look » cheveux-longs-bandeau-peace-&-love » de l’effronté gamin. Pour le texte, ce fut une autre histoire. Le livre a été publié simultanément en anglais, en allemand et en français. Trois textes différents, et même totalement différent pour le texte allemand. J’ai découvert trois livres, trois livres avec mes mêmes illustrations et pourtant différents. Cela m’a amené à me pencher très tôt sur le rapport texte-image, dans ma pratique et dans mes approches pédagogiques. Ce n’était toutefois pas mon vrai premier livre. En 1965, chez Nathan, j’avais accompagné une encyclopédie de droit avec de nombreux dessins humoristiques. Un gros volume de travail, un souffle tout au long de ce gros ouvrage, qui m’étonne encore aujourd’hui. Je ressens pourtant l’impression étrange que les dessins ne sont pas de moi. Leur style ne me parle pas, ne m’appartient pas. Et puis, en reculant dans ma mémoire, je me souviens d’une petite BD publiée quand j’avais 17 ans. J’avais visé le troisième prix d’un concours de dessin, un ballon. J’ai raté le ballon et gagné une bicyclette, le premier prix et l’honneur d’être publié. La BD était nulle, mais bon, avec mon premier prix, j’ai sillonné les routes de France, de Belgique et d’Allemagne et j’ai commencé mes premiers carnets de notes et de voyages. Mais entre nous, il est plus flatteur de dire que j’ai publié mon premier livre chez Quist, non ?…
Auto portrait de Claude Lapointe © |
Évolution graphique – J’ai toujours eu cette impression pour chaque décision, pour chaque prise de position importantes de me trouver sur les curseurs de lignes de force dont les pôles attirent et s’opposent. Ces lignes de tension sont nombreuses, plus ou moins fortes, plus ou moins cernables. On y trouve toutes les composantes du style, le statut de l’image, le public. Si j’envisage le style, je trouve ma place, « sur mes curseurs », entre l’image réaliste 3D et l’image très personnelle, entre la représentation au plus près de l’histoire et celle qui prend des libertés et qui parle plus de moi que de l’histoire, entre le dessin construit et le dessin spontané, entre l’image narrative et l’image d’artiste… Et de quel public suis-je le plus près? Du grand public amateur d’histoires, heureux d’avoir passé un bon moment, sans qu’il sache que vous y êtes pour quelque chose, ou du public restreint des critiques, des esthètes, des amateurs d’arts plastiques ? Le premier a traversé vos images sans s’y arrêter pour plonger dans les histoires, le deuxième scrute votre art, vous reconnaît en tant qu’artiste, vous valorise ainsi, à condition, bien sûr, que votre approche soit compatible avec l’air du temps, avec ses critères…
J’ai fait mes choix, ils sont lisibles.
J’aime l’art de l’image narrative, aussi complexe que l’art du cinéma.
J’aime l’image que ma grand-mère pouvait comprendre.
Je n’aime pas me servir d’un texte pour me mettre en avant.
J’aime aussi la recherche graphique permanente, sans pour autant donner trop d’importance à la forme. Je trouve d’ailleurs que nous vivons trop sous l’emprise et le dictat des formes, des styles et des apparences. Il y a tout de même d’autres choses à prendre, savourer, à analyser dans l’image ! Pourquoi ne se préoccupe-t-on pas de savoir si les personnages sont bien ou curieusement choisis, s’ils « jouent » bien, si leurs gestes, leurs expressions sont étonnantes, ou justes, ou décalées, si le rythme entre la lecture de l’image et celle du texte est aisée, difficile, impossible, si l’angle sous lequel on les découvre est astucieux, conventionnel, dérangeant … Il y a mille questions de cette nature ! L’ Agenda de l’apprenti illustrateur publié par les Editions De La Martinière, qui est plus qu’un agenda, compte tenu de la matière qui y est présente ou cachée, a été le premier livre où j’ai pu m’amuser à user de techniques graphiques variées. Un vrai plaisir, moi qui n’aime pas être prisonnier d’un style ! J’espère qu’il fera découvrir que l’illustration est autre chose que des formes dessinées, si belles soient-elles. Que savoir exprimer les attitudes, les sentiments, les scènes passe plus par une bonne observation du monde que par un beau dessin. J’aime aussi oublier l’illustration, l’image narrative et me jeter dans la peinture et la gravure et retrouver des aspirations, des envies, des frissons esthétiques, les approches personnelles, propres à ma culture et aux arts plastiques.
Rêve – Quand je m’éloigne de mon atelier, je m’imagine à l’ombre d’un olivier centenaire, à l’heure des heures chaudes de l’après-midi, la peau frôlée par une brise parfumée, percevant à peine au loin le chant d’un maçon ou d’un charpentier sur son échafaudage, un comédien me lit un des romans de ma jeunesse dont j’ai oublié les mots et la trame. Sans effort, les mots me viennent aux oreilles, les images défilent devant mes yeux mi clos, je suis ailleurs.
Claude Lapointe, 2006
(bibliographie)