La colère et la révolte sont mes deux carburants (Tomi Ungerer)


TOMI UNGERER © picture alliance / Rolf Haid/MaxPPP
Il est mort chez sa fille, dans le comté de Cork, en Irlande. « La meilleure place où vivre », disait-il. Tomi Ungerer avait 87 ans. On le croyait éternel tant les photos de sa dernière visite à Paris fin 2018, à l’occasion d’une exposition à la galerie Martel, témoignaient d’une vitalité stupéfiante. Sous son chapeau, lunettes noires, visage émacié, mèche blanche sur le front, il avait l’air d’un chanteur de rock. 
Nous avons le coeur serré, nous, libraires, toujours enfants, éternels amoureux de Jean de La Lune, des Trois Brigands, d’Otto, du Géant, de Zloty… Ces albums qui ne déserteront jamais nos rayons, invités d’honneur, ad vitam aeternam.
Ah, Tomi Ungerer ! L’intelligence turbulente de Tomi Ungerer, l’inventivité infinie de Tomi Ungerer, l’humour piquant de Tomi Ungerer, l’indocilité réjouissante de Tomi Ungerer, la voix épaisse et chaude de Tomi Ungerer ! On se délectait de l’entendre répondre de façon tonitruante à ses interviewers, qui redoutaient sans doute de ne pas être à la hauteur. Il fallait en effet s’attendre à des entourloupes, des revers de main, des acrobaties, il était là où on ne l’attendait pas. Et c’était brillant, et c’était hilarant.
Nous avons feuilleté des pages d’entretien – il était bavard -, nous nous sommes replongés dans sa biographie, passionnante, et nous avons eu envie de glaner ses mots, si personnels, faisant oeuvre d’autoportrait. Lui laisser le dernier mot sera notre façon de lui dire merci…
« Je suis un tritureur et un manipulateur »(L’Humanité, déc. 2018)
« Je ne vais pas te manger, tu es trop intelligent er les intelligents sont trop coriaces » (A Liam qui venait de l’interviewer pour le webzine Trois couleurs, en mai 2018)
« Mais je ne peux pas me satisfaire d’un style. Je suis un restlos, comme on dit en allemand, un impatient, un touche-à-tout. » (Libération, déc.2018)
« J’ai horreur de toutes les fêtes, Noël aussi. La seule que je respecte, c’est la Toussaint, j’allume une bougie, j’invite tous mes animaux et je reste seul. »(Libération, déc.2018)
« Aujourd’hui est une aspirine à mon insécurité et un remède à mon complexe d’infériorité. Je me suis impliqué dans des causes diverses, la plupart de mon travail est engagé et j’espère que je le mérite. » (A l’occasion de la remise de la Légion d’Honneur, au palais de l’Elysée, en octobre 2018)
« Mon père est mort mais il m’a laissé tous ses talents. On l’a toujours mis sur un piédestal. A 16 ans, il écrivait déjà pour la presse alsacienne des pièces de théâtre en alexandrins et ce, en allemand et en anglais. C’était un historien, un peintre. Son oeuvre est énorme. C’était un géant. S’il avait vécu, il m’aurait écrasé. » (La Libre Belgique, avril 2002)
« La colère et la révolte sont mes deux carburants » (Le Monde)
« Si mes livres pour enfants ont survécu, c’est parce qu’ils sont subversifs. Parce que je montre aux gamins comment se moquer des adultes. Ce ne sont pas des imbéciles, ils savent très bien d’où viennent les bébés mais ignorent d’où viennent les adultes. Je me suis toujours adressé à eux d’égal à égal, sans rien leur ­cacher, quitte à parfois les brusquer. » (Télérama, mai 2008)
Librairie Sorcière La Courte Échelle à Rennes