La grande histoire des couleurs : Viva Zorro el Zapato !


Le sous-commandant Marcos a ôté sa cagoule et décidé de « cesser d’exister »… Nous republions à cette occasion un texte de Sandrine Mini, directrice des éditions Syros, qui a publié la traduction française d’un conte indien retranscrit par Marcos, La grande histoire des couleurs (première publication de cet article : Citrouille n°45, 2006).

L’histoire de La grande histoire des couleur… ou  pourquoi les éditions Syros ont publié en avril deux livres sur le sous-commandant Marcos ( par Sandrine Mini, directrice des éditions Syros )

Tous les livres ont une histoire, mais certains en ont de plus jolies que d’autres, ou de plus marquantes… En août 2005, Thierry Lenain, un des « nos » auteurs, me propose d’éditer un livre qui lui tient à cœur. Un album jeunesse du sous-commandant Marcos publié en anglais/espagnol au Mexique. La couverture que je reçois par mail est très vilaine mais je demande à voir. Je suis alors sensible au projet pour de nombreuses raisons. La première est qu’il s’agit d’une histoire racontée par Marcos, porte-parole d’un groupe révolutionnaire indigène mexicain. Qu’a-t-il à nous dire ? Pourquoi nous raconte-t-il cette histoire ? Syros, depuis plus de vingt ans, s’intéresse aux projets qui interpellent, qui nourrissent notre capacité à penser le monde différemment. Publier une histoire racontée par Marcos a donc du sens. C’est une manière de soutenir ceux qui luttent pour le respect de leurs droits.



La deuxième raison est que l’histoire est belle : Marcos a entendu cette légende tout au fond d’une forêt tandis que se préparait le soulèvement des indiens du Chiapas. Je suis séduite par le talent littéraire de Marcos, sa manière d’amener la légende, de prendre son temps. « Comme d’habitude, j’allume ma pipe. J’en tire trois bouffées, puis je vous conte cette histoire, telle que me l’a racontée le vieil Antonio… » Six pages plus loin débute l’histoire d’Antonio. Il raconte le temps où deux couleurs seulement se partageaient le monde : l’une était le noir, qui commandait la nuit, l’autre le blanc, qui guidait le jour. Les dieux, qui se battaient sans cesse parce qu’ils s’ennuyaient dans ce monde bicolore, décidèrent de créer de nouvelles couleurs. Un dieu se cogna la tête, perdit un peu de sang et fit naître le rouge. Un autre trouva le brun en creusant profondément la terre… La fable explique que des gouttes de couleurs tombèrent, un peu au hasard, sur les hommes, c’est pourquoi il y a autant de couleurs que de peuples et de façons de penser. Un trésor, pour les indiens du Chiapas, qu’il faut respecter. La troisième raison, c’est Domi. Une artiste indienne mazatèque, proche du mouvement zapatiste, et créatrice du Colectivo callejero (collectif de rue) qui a créé l’édition originale du livre. Le contrat est à son seul nom, puisque Marcos refuse de percevoir des droits d’auteur. Couleurs, matières, formes mouvantes et visages étranges se mêlent pour créer des images « qui n’illustrent pas le texte, mais l’accompagnent en provoquant des sensations différentes », explique Domi. Ce travail peut réellement fasciner tous les jeunes lecteurs d’images.

Pour toutes ces raisons, Syros a eu envie de travailler sur ce livre et de le publier. Mais il fallait pour cela être sûr de récupérer un matériel de qualité et d’obtenir l’autorisation de changer la maquette intérieure, la couverture, le format… Pépito Lopez, le directeur artistique de Syros, a proposé un concept très original qui apporte beaucoup à l’ouvrage. Peu de gens ont conscience de l’influence considérable que les partis-pris graphiques ont sur notre manière de lire un livre (images et textes). Le rapport de confiance que l’initiateur du projet avait déjà établi avec le Colectivo callejero a facilité sa réalisation, comme l’invitation qu’il nous a faite de rencontrer Françoise Escarpit, traductrice et journaliste qui connaissait parfaitement la région, où elle avait eu l’occasion d’interviewer Marcos. Suite à cette rencontre, ce n’est pas un livre sur Marcos, mais deux que nous avons décidé de publier chez Syros. Nous avons eu envie d’en dire plus sur ce mouvement et sur ce personnage emblématique et cela a donné naissance à Marcos, sous le passe-montagne, premier titre d’une nouvelle collection documentaire pour les adolescents (120 pages de texte et un cahier photo de 8 pages). Cette nouvelle collection, les Documents Syros, est basée sur la parole donnée : écoutons ce que des hommes et des femmes ont à dire. C’est donc à travers les nombreux discours de Marcos que Françoise Escarpit, auteur de ce documentaire dirigé par Philippe Godard, nous fait découvrir toute la pensée zapatiste : les raisons du soulèvement, les conditions de vie, les rapports avec le pouvoir central, le projet éducatif et sanitaire, la lutte contre toutes les exclusions… Il me semble que les jeunes ont, plus que jamais, besoin d’ouvrages de fonds qui les aident à se construire un jugement critique et réfléchi.

Sandrine Mini, directrice des éditions Syros

Lire également ici le texte de Sandrine Mini à propos de la réédition par Syrosavec le soutien de L’ALSJ, de l’album Tanbou.


La Grande Histoire des couleurs
Sous-commandant Marcos
Illustrations de Domi
traduit de l’Espagnol (Mexique) par Françoise Escarpit
éditions Syros.
 
Il y a bien longtemps, au temps des tout-premiers dieux, les dieux bagarreurs, seules deux couleurs étaient présentes dans le monde : le noir et le blanc. On pouvait aussi rencontrer le « gris qui colore l’aube et le crépuscule pour que le passage du noir au blanc et du blanc au noir ne soit pas trop violent », mais ce n’était pas vraiment une couleur… Les dieux s’ennuyaient et se dirent que plus de couleurs donneraient plus de joie aux hommes. Alors ils se mirent en quête : apparurent alors le rouge, comme le sang, le jaune, comme le rire des enfants, le bleu du ciel, le brun de la terre… Puis ils déposèrent toutes ces couleurs dans une petite boîte au pied d’un arbre. Durant la nuit, elles s’échappèrent et se mirent à danser et s’aimer, en faisant naître de nouvelles. Bientôt, les couleurs éclaboussèrent le monde et « certaines d’entre elles éclaboussèrent les hommes, et c’est pour cela qu’aujourd’hui les peuples n’ont pas tous la même couleur et ne pensent pas tous de la même manière.». Et si le perroquet est multicolore c’est pour que « les hommes et les femmes de la terre n’oublient pas que les couleurs, comme les idées, sont nombreuses, et qu’ils trouveront le bonheur quand toutes ces couleurs et toutes ces idées auront une place dans le monde ». 

Cette fable du Chiapas sur la diversités des hommes et de leurs cultures est d’une lumineuse simplicité, même si le texte de Marcos, traduit par Françoise Escarpit, tout en allers et retours, en associations poétiques, peut parfois sembler difficile. Les illustrations de Domi – dont Françoise Escarpit nous apprend dans sa remarquable postface qui comprend également une partie sur le sous-commandant Marcos, qu’elle est une artiste indienne mazatèque très engagée auprès de l’armée zapatiste – sont extraordinaires. Elles explosent de couleurs et regorgent de vie. Art brut et engagement politique s’y mêlent pour offrir au lecteur de grands tableaux qui racontent la naissance et la signification des couleurs – et bien plus encore –, tout aussi bien que le texte. Ce dernier, dans une typographie sans fioritures, est disposé dans de longs rectangles blancs ou colorés, comme des étiquettes rajoutés au bas des tableaux, dans un contraste qui enrichit encore l’image. Jusqu’au papier qui a cette forte odeur du papier recyclé, tout est réussi dans cet ouvrage qui traverse les frontières, les continents et les genre littéraires et artistiques – et ce n’est pas si souvent qu’on trouvera dans un album pour enfants : «Les hommes et les femmes dormaient ou faisaient l’amour, ce qui est, il faut le dire, une bien jolie façon de se fatiguer avant de s’endormir»


La grande histoire des couleurs, épuisé,  a depuis été édité avec des illustrations de Benoit Morel, sous le titre Le Récit du vieil Antonio, par Oskar éditeur. Lire ici la critique de cet ouvrage par Ariane Tapinos.