[màj 4 juin : Fred Paronuzzi vient de remporter le Prix Ados de Rennes 2014 – Lire également la critiques de Mon père est américain et de Là où je vais]
Interview réalisée lors d’une rencontre du club de lecture ado d’A Pleine Page organisée le samedi 21 sept. 2013 par Gaëlle, libraire d’À Pleine page (lyon), et Bérangère documentaliste au collège des Chartreux – bonus : la reproduction d’une page manuscrite dans le corps de l’interview !
Viktor : Vos livres sont souvent racontés de plusieurs points de vue, pourquoi ce choix ?
Fred : J’aime varier les histoires et les modes narratifs. Cela me permet de diversifier les angles. Je ne le fais pas systématiquement, néanmoins, car ce serait lassant. Dans Mon père est américain, j’ai choisi d’insérer des lettres. Je ne l’avais jamais fait, auparavant. Ce n’est pas à proprement parler un roman épistolaire, mais c’est une richesse supplémentaire. C’est important pour un auteur de ne pas s’ennuyer, d’essayer des choses nouvelles. Dans Là où je vais, mon p’tit dernier, il y a 4 narrations différentes. C’était un « exercice » passionnant.
Guillemette : Dans Mon père est américain, vous développez le roman puis, d’un coup, je trouve que la fin est « expédiée ». Pourquoi ?
Fred : C’est une fin ouverte, comme je les aime. Je refuse de tout expliquer, de donner toutes les clefs. Et tant que lecteur c’est pareil, j’ai besoin de liberté. Je me suis demandé s’il fallait décrire la rencontre… et puis non. On n’en a pas besoin. Au lecteur de l’imaginer. Ce pourrait être un deuxième roman… mais je ne l’écrirai pas non plus ! Une autre histoire commence dans cet aéroport… Cela dit, je comprends tout à fait ta frustration.
Question d’Ambre (absente) posée par Guillemette : Etes-vous pour ou contre la peine de mort ? Préférez-vous les Etats-Unis ou la France ?
Fred : A la lecture, qu’en pensez-vous ?
Viktor : Contre
Fred : Je suis évidemment contre la peine de mort. Ce livre (Mon père est américain) n’est pas un plaidoyer, mais j’ai mes convictions et elles transpirent entre les lignes. Je nourris un lien intime avec les Etats-Unis, mais je suis mieux ici, en France. J’aime passionnément la culture américaine, la littérature, la peinture, la musique, le street-art… mais vivre ici, au quotidien, est plus simple. Malgré tout, si l’on me proposait de m’installer 3 ou 4 ans à New-York, j’irais sans hésiter.
Gaëlle : Et ailleurs ?
Fred : Pourquoi pas… mais j’aurais besoin d’y réfléchir, avant. Alors qu’à New-York…
Guillemette : L’envie d’écrire vous est venue comment ?
Fred : A peu près à votre âge. L’envie était là, mais je ne savais pas vers quoi me diriger. J’aimais beaucoup lire, déjà, je m’évadais dans les BD, la SF… le genre « heroïc fantasy » n’était pas si développé, à l’époque. J’étais aussi passionné par la musique. Le plus dur, ça a été de trouver une identité. La fameuse « petite voix » propre à chaque auteur. Mon premier roman publié a été 10 ans ¾. Il a tout de suite été accepté par les éditions du Dilettante… mais j’ai beaucoup galéré, beaucoup travaillé, beaucoup raté, avant.
Guillemette : Pourquoi Mon père est américain ?
Fred : Au départ, il y a cette fascination pour les Etats-Unis, je voulais y retourner à travers le roman. Puis j’avais envie d’un fils à la recherche d’un père. Cette thématique fait écho à mon histoire personnelle. Et puis, également, j’ai longuement correspondu avec des condamnés à mort américains (3 condamnés différents). Une expérience forte, riche, déstabilisante… Plus prosaïquement, ce thème de la peine de mort est peu traité en littérature, contrairement à celui de la prison. [Fred montre alors des lettres reçues des Etat-Unis qui lui ont été envoyées par les condamnés, il détaille les enveloppes, montre les timbres qu’il décrit dans le roman, pointe un tampon qui indique que le courrier vient d’une prison… Et laisse les ados s’en emparer].
Guillemette : Comment avez-vous trouvé ces correspondants ?
Fred : A travers un site internet canadien, le www.ccadp.org (Canadian Coalition Against Death Penalty). Je le cite dans le livre. On y trouve des fiches de présentation. C’est l’unique espace de liberté pour ces gens détenus dans des conditions épouvantables. J’ai choisi un peu au hasard. C’était difficile.
Gaëlle : Qu’est-ce que ça t’apporte et qu’est-ce que ça apporte aux condamnés, cette correspondance ?
Fred : Pour eux, le premier bénéfice est qu’ils se sentent moins seuls. Ils ont quelqu’un à qui parler. William, l’un de mes correspondants, est condamné à mort depuis près de 30 ans ! Ils se trouvent presque toujours dans une grande et terrible solitude, abandonnés de leurs proches. Certains te confient leur crime. D’autres non. Après plusieurs années, nos correspondances se sont mises à battre de l’aile. Les lettres se sont espacées. Je songe parfois à reprendre de manière plus assidue, mais c’est difficile. Leurs attentes sont parfois très importantes, trop sans doute, et moi… je ne suis pas leur avocat.
Antoine : Comment voyez-vous la fin du roman ?
Fred : C’est forcément une belle rencontre. Un moment douloureux, beau et fort.
Gaëlle : A propos de la peine de mort, tu parlais de William condamné depuis près de 30 ans, peux-tu nous expliquer pourquoi on laisse « vivre » un condamné à mort?
Fred : La situation est très différente d’un état à l’autre. Les procédures de recours varient. Le contexte général joue son rôle. En période électorale, par exemple, il peut y avoir des vagues de condamnations ! C’est une situation très complexe, à examiner au cas par cas.
Guillemette : L’un de vos correspondants est-il mort ?
Fred : Non, heureusement ! Il y a plus de 3000 prisonniers dans les couloirs de la mort et quelques dizaines d’exécutions par an. C’est une honte, une véritable barbarie.
Antoine : Combien de temps mettez-vous pour écrire un livre ?
Fred : Comparé à certains auteurs, je m’estime très lent. Je pense à mes histoires pendant des années ! Ensuite, pour rédiger, il me faut environ 1 an. Je n’aime pas me presser, je prends mon temps, je vis et j’évolue avec mes personnages, je savoure ce moment magique où une histoire prend forme.
Fred : J’écrème beaucoup, mon récit ne se met pas en place très rapidement. En ce moment, je travaille sur un projet auquel je pense depuis 7 ou 8 ans. J’ai aussi une BD en préparation. Avec le temps, l’expérience, les années… je pensais aller plus vite, mais non ! Et c’est aussi bien.
Guillemette : Pensez-vous à un seul livre à la fois ?
Fred : Non, à plusieurs. Les projets évoluent parallèlement. Et comme je veux respecter mon sujet (et mes lecteurs) je me documente beaucoup. Ça prend du temps, mais c’est un vrai plaisir.
Guillemette lit une question de Gaëlle : Cette année lors de notre vote, nous vous avons décerné le 3e prix. La gagnante est Susin Nielsen pour Moi Ambrose roi du scrabble, suivi par Silvana Gandolfi pour L’innocent de Palerme. Dans notre sélection figuraient Black Out de Brian Selznick, Wonder de RJ Palacio, Rêves en noir de Jo Witek, Ava préfère Les fantômes de Maïté Bernard, Quelques minutes après minuit de Patrick Ness et Gregor de Suzanne Collins. Avez-vous lu certains de ces romans et qu’en avez-vous pensé ?
Fred : Non, pas encore. Mais j’ai dans ma liste de lectures à venir Wonder et L’innocent de Palerme. Ils m’ont été conseillés par des libraires !
Antoine lit une question de Gaëlle : Pourquoi avoir choisi d’écrire pour la jeunesse alors que vous écriviez auparavant des livres pour adultes ? Pensez-vous qu’on peut vraiment dire qu’un livre est pour un enfant ou pour un adulte ? A quel public pensez-vous quand vous écrivez vos livres publiés chez Thierry Magnier ?
Fred : Je ne pense pas du tout à un lectorat lorsque j’écris. Etre chez Thierry Magnier, c’était vraiment une envie, un désir, un choix éditorial. Pour moi, il n’y pas de différence, dans l’écriture, entre littérature jeunesse et littérature « vieillesse »… peut-être juste une sensibilité différente. Et encore ! Il y a surtout de bons et de moins bons livres, au delà des étiquettes. Je m’adresse à de grands ados. Je ne simplifie rien et m’autorise tout. D’ailleurs, ceux qui lisaient mes livres pour adultes m’ont suivi en jeunesse.
Gaëlle : Dans 10 ans ¾, même si le héros est un gamin, je trouve qu’on sent dès le début que tu t’adresses davantage à des adultes.
Fred : Ce livre raconte un an de la vie d’un petit garçon, avec un regard décalé sur les choses. C’est un livre plutôt drôle. En marge. Il s’adresse à tous.
Guillemette : Je ne suis pas ce qu’on peut appeler une grande ado, pourtant je ne ressens pas de problèmes à la lecture de vos romans.
Fred : Effectivement. La différence est davantage dans les problématiques traitées que dans l’écriture.
Guillemette : Comment un livre avec un héros de 10 ans peut-il être écrit pour des adultes ?
Fred : Il est publié en adultes, mais ça ne l’empêche pas d’être lu dans les lycées. Encore une fois, il faut dépasser ces frontières, c’est ridicule.
Fred : Oui. Mes romans publiés chez Thierry Magnier sont téléchargeables, à l’exception des nouvelles Terrains minés. Ceux au Dilettante aussi. Pour autant, on ne peut pas dire qu’ils se vendent sous ce format.
Guillemette : Terrains minés, ce sont des nouvelles ?
Fred : Oui, j’ai pris pour thème le foot, mais en réalité c’est un prétexte pour parler du monde dans lequel on vit, du droit des femmes, de l’enfance maltraitée, de la guerre en Irak… entre autres choses.
Guillemette : Pourquoi passer du roman à la nouvelle ?
Fred : Mikaël Ollivier, que j’apprécie beaucoup en tant qu’auteur et en tant qu’être humain, m’avait proposé d’écrire un recueil pour la collection qu’il dirige chez T. Magnier. Le projet m’a plu et je suis très heureux du résultat.
Gaëlle : As-tu choisi le Dilettante, ton éditeur pour 10 ans 3/4 comme tu as choisi Thierry Magnier ?
Fred : Oui, j’envoie mes textes chez les éditeurs selon leur catalogue, chez ceux dont j’aime les titres.
Julie : Avez-vous déjà été déçu des couvertures de vos livres ?
Fred : La couverture reste un choix de l’éditeur. Pour Là ou je vais, je ne connaissais pas l’ illustrateur, mais on m’en avait dit beaucoup de bien (il s’agit de Laurent Moreau). C’est un moment délicat, la couverture. Et on peut être déçu, parfois.
Gaëlle : D’où te vient cette prédilection pour les textes courts, alors qu’en jeunesse on voit beaucoup de livres très épais ?
Fred : J’aime la simplicité. Je coupe, je raccourcis. Je cherche le mot juste. J’ai horreur des chapelets d’adjectifs, des descriptions à rallonge. N’est pas Hugo ou Balzac qui veut ! Je vous ai apporté mes brouillons pour vous montrer comment je travaille. Mon texte maigrit au fil des relectures, mes chapitres peuvent parfois diminuer de moitié… Je n’écris donc pas de pavé et je ne suis pas sûr d’être capable de le faire. [Fred montre les feuilles imprimées d’un passage de Là où je vais, toutes raturées].
Gaëlle : En préparant cette rencontre je me suis aperçue que tes livres paraissent toujours entre le 16 et le 19 janvier. Es-tu maniaque ?
Fred : J’aime laisser au moins un an entre deux sorties, je souhaite que mes livres aient le temps de vivre. Mes ouvrages chez Magnier ont été sélectionnés pour une trentaine de prix. C’est très encourageant et c’est essentiel, la reconnaissance de votre travail. Pour Là où je vais, les choses semblent plus difficiles. Les thèmes traités sont lourds. Graves. Certains prescripteurs m’ont avoué ne pas oser le mettre en avant. C’est dommage. J’ai été invité dans un lycée, ici à Lyon, et c’est le texte qui a été le plus apprécié par les jeunes… Et pour revenir à votre question, il ne paraîtra rien en janvier 2014, entre le 16 et le 19 !
Gaëlle : Tes élèves t’inspirent-ils ? [Fred est professeur d’anglais en lycée professionnel à Chambéry]
Fred : Oui bien sûr ! Ce ne sont pas de gros lecteurs, mais je m’inspire d’eux, de leurs prénoms, de leurs histoires, de ce qu’ils me racontent. Ils m’inspirent lorsque j’écris des scènes de classe. Je les observe se passionner, s’ennuyer, se révolter, draguer, faire du charme… Pour un texte comme Là où je vais, ils m’ont été essentiels et le livre leur est dédicacé.
Guillemette : J’ai beaucoup aimé que ça se passe en une heure, ce roman.
Fred : Dans le théâtre classique, il y a unité de lieu et de temps. Ce texte était un petit défi. Mais je n’ai pas mis une heure pour l’écrire !
Noémi : Vous-avez évoqué une BD tout à l’heure.
Fred : Oui, elle sortira en 2014 chez Sarbacane. Il s’agit de l’adaptation de mon roman La lettre de Flora. Le dessinateur s’appelle Vincent, c’est un garçon très talentueux dont on va, j’espère, beaucoup entendre parler. Il est en ce moment en plein travail.
Noémi : Comment choisissez-vous le dessinateur ?
Fred : C’est l’éditeur qui nous a mis en relation. J’aime beaucoup la BD, le roman graphique. Récemment, j’ai découvert le manga, c’est un genre super riche, passionnant. J’en lis beaucoup. J’ai vu l’adaptation au théâtre de Quartier lointain, je conseille à chacun d’aller voir ce spectacle, il est superbe !
Propos recueillis par le club de lecture ado de la librairie A pleine Page de Lyon
Propos recueillis par le club de lecture ado de la librairie A pleine Page de Lyon