Le lexique Tibo Bérard – par la librairie À Pleine page de Lyon (itw)


Je me suis retrouvée (presque) obligée à écrire un article sur la collection Exprim’ alors que je n’y connaissais (presque) rien. Bon… J’ai fouiné dans les rayons de la librairie, j’ai mis les romans dans un sac, et je les ai ramenés chez moi pour le week-end. Je les ai lus. Et je n’ai pas été déçue. J’ai même été carrément le contraire. Alors j’ai appelé le directeur de la collection, Tibo Bérard, et j’ai rencontré un de ses principaux auteurs, Insa Sané. Et là non plus je n’ai pas été déçue, et même carrément le contraire! Par Gaëlle Barbosa, librairie À Pleine Page, Lyon. Intégralité de l’interview parue en extrait dans le n°67 de Citrouille – Making of de l’interview ici, sur le blog de L’ouvre-livres – Interview d’Insa Sané ici

Après avoir beaucoup hésité, je l’ai appelé. Alors Tibo Bérard et moi, on a bu un café de 11 heures au téléphone. C’était à la fois frustrant de ne pas le voir, et passionnant de me concentrer uniquement sur ses paroles. On a tant parlé qu’on a dû raccrocher pour la pause déjeuner. Il est comme ça Tibo, investi et généreux. Quand il a rappelé à l’heure du café de 14 heures, j’ai compris que j’en avais pour… jusqu’au goûter. Quelques jours plus tard, j’ai eu la chance de boire un VRAI café, cette fois avec Insa Sané. Mais sans téléphone entre nous, j’étais nettement moins concentrée sur ses paroles! Interview tout sourire et crise de rire avec un auteur emblématique de la musique et de la collection Exprim’. Cette aventure éditoriale, c’est une histoire de rencontres providentielles qui démarre au culot. Celle de deux gars faits pour s’entendre et démarrer une collection à fond les ballons. Et cet article avec eux, c’est aussi l’histoire d’une fille, qui s’est retrouvée là sans presque rien demander, mais qui reprendrait bien un p´tit café!

Gaëlle Barbosa : J’ai scrupuleusement parcouru plusieurs interviews que tu as données et il me semble qu’il se dégage clairement un lexique « Tibo Bérard » ! Je te cite, à propos de la collection eXprim et de la littérature que tu publies : « explosive », « énergie », « puissance », « rock n’ roll », « qui dépote », « auteurs rock », « truculence », « jaillissement », « urbain », « qui claque », « hardcore », « moderne », « couverture punk », « alternatif », « détonant », « métissée », « électrique »… Bon, mais dis-moi, quand on a fini d’énumérer tout ça on ne sait plus très bien si l’on parle de littérature ou de musique?
© Azel Phara
Tibo Bérard  :  J’ai une tendance à l’adjectif ! Ça me vient de mon expérience dans la presse littéraire. D’ailleurs, aux premiers temps de la collection EXPRIM’, j’ai trouvé beaucoup d’auteurs en tapant  des adjectifs sur Internet – “ roman percutant ”, “ roman électrique ”, etc. À la racine, il y avait en effet cette idée de mixer la littérature avec d’autres modes d’expression artistique ; la musique est le premier élément à s’être clairement dégagé. C’est plus tard qu’on s’est rendu compte que nos auteurs intégraient aussi dans leur écriture les influences du cinéma et de la série TV. Mais disons qu’il y a une histoire d’amour toute particulière entre EXPRIM’ et la musique, puisqu’elle est constamment présente dans l’écriture : en fait, ce qui relie des romans parfois très différents dans les genres explorés ou les thématiques abordées, l’ancre de la collection donc, c’est la musicalité de la langue.
Gaëlle Barbosa : Oui, ça me fait penser à un passage dans Je suis sa fille de Benoît Minville « Si je le fais, peut-être qu’une génération entière arrêtera de nager après un billet de banque comme un bébé joufflu dans sa piscine ! »(p.4). On reconnaît bien là une allusion au Nevermind de Nirvana.
Tibo Bérard  : Bien vu ! En fait, dans les romans EXPRIM’, on trouve une multitude de clins d’œil dans ce genre. Ceux qui les saisissent apprécient, les autres goûteront simplement la poésie de telle métaphore… Les auteurs barbotent dans un bain de références, qu’ils intègrent aux romans. Benoît par exemple est très rock, très imprégné de la culture métal. L’écueil à éviter serait le clin d’œil permanent, mais sincèrement je ne crois pas que ce soit ce qu’on fait ! L’incursion de références à la musique ou au cinéma est surtout une façon d’injecter de la vie, du plaisir, de la complicité avec le lecteur au sein d’un récit romanesque. D’une manière générale, je trouve la littérature française trop intellectuelle et glacée, il y manque l’explosion de vie. J’oppose souvent l’approche “ viscérale ” d’EXPRIM’ à celle, cérébrale, de bon nombre d’auteurs français…
Gaëlle Barbosa : eXprim est une collection littéralement née de la musique puisqu’elle a pu prendre son envol grâce au label de hip-hop Desh Music, que tu as contacté afin de rencontrer les rappeurs du groupe Sniper… ce qui t’a permis, en fin de compte, de rencontrer Insa Sané. C’était une démarche culottée !

Tibo Bérard  : C’était gonflé, oui ! Aujourd’hui avec le recul, et je n’ai plus le même âge non plus… je ne sais pas si j’oserais faire un truc pareil, appeler au culot un label d’artistes très connu, pour aller y chercher de nouveaux auteurs de romans ! C’était aussi un coup de chance inouï, cette rencontre avec Insa. C’est marrant rétrospectivement, c’est une histoire folle.
Gaëlle Barbosa : Hé oui, car le hasard a voulu qu’Insa Sané avait un texte prêt qui correspondait à ce que tu cherchais…
Tibo Bérard  : On s’est vraiment trouvés, tous les deux. Insa avait en effet écrit un roman percutant et innovant – Sarcelles-Dakar – pour faire lire ses frères et ses potes, pas forcément pour des ados, donc. D’où le démarrage très “ urbain ” du roman, qui bifurque ensuite vers une ambiance plus lyrique, plus poétique aussi : son idée était de prendre les lecteurs dans un traquenard, pour ne plus les lâcher. Il était déjà chanteur et slameur à l’époque, commençait à avoir du succès pour ses textes. Il voulait mettre de la littérature dans la musique.
Gaëlle Barbosa : Et toi, tu voulais mettre de la musique dans la littérature !
Tibo Bérard  : Exactement. Du coup, je me dis qu’il n’y a pas que de la chance dans cette rencontre, mais aussi… de la providence ! Ce moment où deux volontés “ doivent ” se rencontrer, parce que cela va donner quelque chose de fort et d’intéressant.
Gaëlle Barbosa : On sent que tu aimes divers médias et que tu cherches par divers moyens à amener les jeunes vers la lecture. eXprim’ apparaît comme un vivier d’auteurs inspirés par des médias variés. J’ai fait un test (véridique) en ouvrant des pages au hasard de quelques romans de la collection. Dans  Frangine de Marion Brunet, p.55 « Cronenberg », dans No man’s land de Loïc Le Pallec, p.65 « Rambo », dans La drôle de vie de Bibow Bradley d’Axl Cendres, p.151, se côtoient les « Beatles, des Doors, Jefferson Airplane ou encore Canned Heat », dans Je suis sa fille de Benoît Minville, p. 175 on croise même « Jean-Jacques Goldman ». Ai-je eu un bol monstrueux ou tes romans sont vraiment truffés de références ?
Tibo Bérard  : En fait, nos auteurs intègrent le vivant dans leur littérature. Je trouve chouette qu’il y ait une référence à Jean-Jacques Goldman, c’est bien la preuve qu’on évite le jeunisme systématique ! Dans un des romans d’Insa – je crois que c’est Daddy est mort –, il cite Sabine Paturel, tu sais, Les Bêtises… Franchement, j’avais du mal à assumer ce morceau dans un roman racontant les affrontements entre mômes de banlieue, sur fond de France en crise !!!… mais Insa a tenu bon, soutenant que cela faisait partie de la culture française, y compris dans les quartiers, et que tous les gamins connaissaient.  
Gaëlle Barbosa : La couverture de K-Cendres d’Antoine Dole est totalement « musicale » et scénique. Sur un fond rose vif, les lettres claquent en jaune fluo. On pense forcément aux Sex Pistols. Sur la 4e de couverture, pas de résumés mais de « fausses critiques » de magazines. On pourrait penser que ce sont des magazines musicaux qui chroniquent le roman. L’ambiguïté est poussée loin, non ?
Tibo Bérard  : J’assume clairement la référence aux Sex Pistols – tu remarqueras qu’on est allés jusqu’à inverser le rapport jaune-rose ! L’idée était de montrer que, si l’ambiance du roman et son sujet l’orientaient vers le hip-hop, il était en revanche animé d’une énergie punk, via l’écriture. On était donc à la jonction de plusieurs énergies…
Gaëlle Barbosa : K-Cendres se termine sur un « bonus track » (ces fameuses chansons cachées qui surgissent plus ou moins tard après la fin d’un album). Il jaillit comme une bonne surprise alors qu’on est encore pris dans la rude fin du roman. Ce texte d’Antoine Dole a été lu sur scène. Là encore, on constate une vive coexistence entre la littérature et la scène.
Tibo Bérard  : Antoine voulait intégrer ce texte au roman, on a eu l’idée de l’intituler « bonus track » pour aller jusqu’au bout de la démarche. C’est une façon pour moi d’aller au-delà du livre, de montrer que l’univers d’un auteur dépasse le monde contenu dans les pages d’un roman… Ce texte, il l’avait en effet lu sur scène, lors d’une formidable soirée anniversaire de la collection EXPRIM’ – on avait eu un super succès, il y avait beaucoup de jeunes dans la salle. Effectivement, je ne pourrais pas mieux synthétiser cela qu’en te repiquant la formule : une vive coexistence de la littérature et de la scène.
Gaëlle Barbosa : J’ai lu que tu t’estimes tyrannique lors de la relecture des textes. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir si tu fais une lecture orale afin de vérifier la musicalité du texte ?
Tibo Bérard  : Non, je ne fais pas de lecture orale ; à mon sens, cette part-là appartient entièrement à l’auteur. Pour le reste… Quand je dis que je suis tyrannique, cela signifie que je m’implique à fond, que je mets tout en œuvre pour aider l’auteur à se dépasser, à repousser ses limites, à se réinventer ; cette implication, c’est une marque d’amour envers les textes de mes auteurs, l’idée étant de retravailler ensemble un manuscrit comme on pétrit de la pâte, pour en tirer quelque chose d’encore plus fort. Ainsi, je peux garantir que mes propositions sont objectives, ce n’est pas un caprice d’éditeur ; les auteurs savent que c’est le fruit d’une lecture pensée autour d’un motif principal qui est la cohérence de leur œuvre. Dans Tu seras partout chez toi par exemple, Insa construit la langue du roman en puisant dans l’univers des contes du monde entier. Mon boulot consiste à veiller, avec lui, à ce que cette ambition se maintienne à chaque page, à chaque ligne, sans temps mort ni perte de sens. Toutes mes propositions iront dans ce sens, amener à lier, cimenter. C’est cette cohérence qui m’évite le risque de la relecture subjective. La lecture orale appartient à l’auteur, c’est son moment, ça ne m’appartient pas.
Gaëlle Barbosa : Tu as de la chance que tes auteurs n’aient pas de problèmes d’ego et acceptent tes suggestions !
Tibo Bérard  : J’ai énormément de chance… et j’essaie de leur donner énormément, c’est réciproque. À ce sujet, tu peux jeter un œil à un article génial qu’a publié Clémentine Beauvais sur son blog, article qu’elle a intitulé “ Les éditeurs qui méditent ” – elle y parle du travail que nous avons fait ensemble sur son prochain roman chez Sarbacane, Comme des images (février 2014). Clémentine m’a offert un merveilleux cadeau en racontant tout cela en détail, d’abord parce que c’est une vraie marque de gratitude, et en plus parce qu’elle l’a fait avec humour et finesse… ça m’a beaucoup touché. Et puis, cela participe aussi d’un “ esprit de collection ” très fort – d’une façon générale, j’aime penser que les auteurs de la collection échangent, se lisent, s’émulent… Par exemple, tous mes “ petits nouveaux ”, Philippe Arnaud, Marion Brunet, Benoît Minville, ou Thomas Carreras, ils passent leur temps à se lire les uns les autres !
Gaëlle Barbosa : Dans un autre article intitulé La bande-son du roman, tragédie en un acte, Clémentine raconte de façon hilarante comment, à son grand dam, tu lui as demandé “ d’abouler sa playlist ” pour son roman Comme des images. Il n’y a donc pas moyen de s’y soustraire, même quand on n’y connaît rien en musique ?

Tibo Bérard  : (Rires) Ah, non, pas question de s’y soustraire ! La playlist de Clémentine n’est peut-être pas très branchée, mais elle résonne vraiment bien avec le roman, et ça reste le but de la manœuvre. Et puis, c’est bien de ne pas avoir uniquement des playlists branchées ! La collection EXPRIM’ a mille et une facettes, c’est encore une façon de le suggérer. Au début, on avait vraiment cette image violente, punk, toujours rebelle ; aujourd’hui, je crois que tout le monde se rend compte que notre éventail est large, puisque la collection regroupe aussi bien des polars que des romans fantastiques, des romans urbains, des romans comiques ou des romans d’émotion – et le lien entre tous les livres reste la musique du texte, cet aspect jaillissant, détonant, toujours original de nos romans. Je ne veux pas de tons neutres dans EXPRIM’, je refuse la fadeur. Au rayon ado, on trouve beaucoup trop de ces bouquins rédigés à la serpe, avec cette apparence de style qui consiste à aligner les phrases nominales… Regarde à quel point nos auteurs travaillent la ponctuation, par exemple ! Il y a un vrai souci du rythme, de l’effet sonore, de l’impact de la métaphore sur le lecteur… Idem pour les dialogues : dans combien de romans a-t-on le sentiment que les personnages parlent tous de la même manière ! Par comparaison, le travail d’auteurs comme Marion Brunet (Frangine), Benoît Minville (Je suis sa fille) ou Axl Cendres (La drôle de vie de Bibow Bradley) est remarquable.
Gaëlle Barbosa : Pourquoi un X majuscule ? Pour qu’on entende enfin de nouveau « crier » la jeunesse ? Tes livres sont comme une musique rebelle dans le paysage de la littérature pour ados. Tu dis dans une interview que la jeunesse est l’âge où on l’on a envie de lire des livres qui « marquent ». Alors que certains diront qu’il faut au contraire préserver les jeunes. Mais je me rappelle avoir lu Lherbe bleue pourtant emprunté au CDI de mon collège, ou Moi Christiane F. ou encore Flash chipé en cachette dans la bibliothèque de ma mère… Des livres a priori pas pour cet âge mais qui attirent comme des aimants. Regrettes-tu qu’on n’ »entende » plus la jeunesse ? Est-ce pour cela que tu donnes la parole à des auteurs qui « crient » ?
Tibo Bérard  : Ta formule est tout à fait juste. Entendre crier la jeunesse… oui, c’est tout à fait ça. Il y avait dès l’origine la volonté de faire crier une “ jeunesse d’auteurs ” – EXPRIM’, c’est une immense majorité d’auteurs découverts avec un premier roman, puis accompagnés de livre en livre ! Des auteurs qui, peu à peu, trouvent un lectorat et une notoriété – cela a d’abord été Insa Sané, Axl Cendres, Alexis Brocas, Antoine Dole, Rolland Auda, Lucie Land, Flo Jallier ou Karim Madani, et plus récemment, toute une nouvelle veine d’auteurs hyper talentueux, Marion Brunet, Philippe Arnaud, Boris Lanneau, Vincent Mondiot, Thomas Carreras, Benoît Minville… En tout, sur 70 romans publiés dans EXPRIM’ à ce jour (environ 10 par an), on dénombre 69 romans d’auteurs français, pour un seul achat (non le moindre, d’ailleurs : Le monde de Charlie de Stephen Chbosky, très gros succès de librairie depuis la sortie du film). Très franchement, tout ce travail de création française n’est pas assez souligné, à mon avis. Cette jeunesse qui crie, c’est aussi celle des lecteurs qui, contrairement à ce que pensent beaucoup de gens, sont capables de s’exprimer et d’être entendus – nous travaillons avec une centaine de bloggeurs, qui chroniquent régulièrement nos livres et suivent notre actualité avec intérêt, qui échangent avec nous, réagissent… oui, il faut faire crier une littérature fougueuse !
Gaëlle Barbosa : On entend habituellement que dans la littérature pour les jeunes il faut toujours un espoir à la fin, tu en sembles loin…
Tibo Bérard  : Ah, c’est vraiment le genre d’idée que je ne peux pas comprendre. Nous n’apportons ni espoir ni désespoir, nous offrons à lire des histoires. Certaines sont gaies, d’autres moins… toutes donnent de la force, de l’énergie. Les lecteurs en tirent quelque chose de puissant, toujours. Dans la musique, on ne poserait jamais la question sous cet angle. Moi je cherche à provoquer un impact, à en mettre plein la tête au lecteur. Et de l’avis des nombreux bloggeurs qui nous suivent – âgés de 13, 14, 17 ou 25 ans ! –, cela fonctionne justement parce que nos romans les changent des récits « formatés » à leur intention.
Gaëlle Barbosa : Il y a tout de même une chose qui me surprend. Au vu de tout ce qu’on vient de dire à propos d’eXprim, collection dans laquelle les médias s’entrecroisent, je suis quand même étonnée qu’il n’y ait pas plus d’interactivité avec la musique notamment. Bien sûr on peut glaner des vidéos de tes auteurs ou d’artistes lisant ou slamant les textes d’eXprim mais par rapport au potentiel de la collection, cela me semble limité. Les playlists ne sont pas mises en ligne sur une plateforme musicale, par exemple. Je me demande même si la collection existe en format numérique ?
Tibo Bérard  : C’est une simple question de temps ! Sarbacane est une maison d’édition indépendante – on est assez peu nombreux sur le marché du livre jeunesse pour que cela mérite d’être souligné –, composée de sept personnes seulement. Nous avons donc de nombreux chantiers à ouvrir, et c’est tant mieux ! Nos titres sont tout prêts à être numérisés, nous voulons simplement réfléchir à la meilleure façon de les diffuser ensuite. Mais en vérité, je ne pense pas que ce soit une vraie urgence : on peut prendre le temps d’y réfléchir, de faire les choses bien. Évidemment, pour la bande-son des romans, ça pourrait être un vrai “ plus ”, elle pourrait accompagner la lecture en direct, etc. Cela dit, cette évolution possible du livre correspond à une évolution nécessaire de la librairie, non ? Il me semble que l’espace de la librairie peut et doit évoluer lui aussi, pour devenir toujours plus un lieu de vie, de rencontres, d’échanges… comme une scène musicale, en fait. Ainsi, de nombreux artistes pourraient venir y porter la littérature au-delà du papier.
Gaëlle Barbosa : Tu parles souvent de génération Tarantino. Dans 50 cents de Thomas Carreras, il y a des scènes qui pourraient être hyper violentes mais qui sont atténuées par des commentaires décalés entre parenthèses. On est vraiment dans le mode de fonctionnement de Tarantino qui, en exagérant la violence, la rend presque comique parfois. Cette influence du cinéma et des séries ne t’a pas donné envie de demander à tes auteurs une « bande-film », si l’on peut dire ça comme ça ?
Tibo Bérard  : L’outrance amène le comique. Un procédé que Thomas Carreras utilise avec beaucoup de talent – je rappelle qu’il n’a que 19 ans… et pourtant, on sent qu’il en a sous la semelle, qu’il sera capable d’explorer toutes sortes d’univers romanesques ! Il est aussi représentatif d’une nouvelle génération, de fait, et en le lisant, on peut en effet voir comment un jeune garçon d’aujourd’hui perçoit la violence fictionnelle, comment il l’aborde et la traite. Il est très conscient des références qui ajoutent du grotesque, s’adresse directement aux lecteurs et entretient avec eux, via son blog, un rapport complice et immédiat. Il a déjà reçu plusieurs mails très fouillés, des analyses de plusieurs pages envoyées par des ados – à qui, en retour, il a carrément proposé de soumettre des idées pour son prochain livre ! En ce qui concerne ton idée d’une bande-film, on trouve bien une “ toile de fond ” dans Le dévastateur de Rolland Auda – un roman bourré de clins d’œil et de pastiches cinématographiques, à découvrir d’urgence !!!
Gaëlle Barbosa : Je me souviens bien de la couverture, qui était plutôt attractive !
Tibo Bérard  : Ah, mais il faut dire que j’ai un atout de taille : notre maquettiste, Charlotte Nadaud, lit tous les romans avant de travailler sur la couv. Sa réponse graphique est une réponse de lecteur, une réponse personnelle, et cela se ressent.
Gaëlle Barbosa : Dernière question, on t’imagine « connecté » à tous les médias et moyens de communication possibles mais contrairement à tes collègues de chez Sarbacane tu ne veux recevoir de manuscrits que par papier…
Tibo Bérard  : À vrai dire, ça vient de changer car j’ai dû tout récemment constituer un comité de lecture – à qui je joins les manuscrits par courriel, justement. Il faut dire que depuis plus d’un an, nous connaissons un gros essor avec EXPRIM’, ce qui fait que les manuscrits reçus se sont multipliés par trois ! Il y a eu toute une série de jolis succès qui nous a bien aidés : La drôle de vie de Bibow Bradley d’Axl Cendres, Le monde de Charlie de Stephen Chbosky, Tu seras partout chez toi d’Insa Sané, Frangine de Marion Brunet… sans oublier le démarrage très prometteur de Je suis sa fille de Benoît Minville. Mais surtout, nous avons trouvé une vraie “ assise ”, auprès des professionnels comme du public. Au bout de cinq ans environ, il y a eu comme un déclic, la conjonction de plein de choses sans doute, un moment où la rencontre s’est vraiment fondée, entre nos lecteurs et nous… cela correspond à peu près au moment où Bibow Bradley a reçu la Pépite du salon de Montreuil. On s’est sentis reconnus. Ça aide à avancer !


Tibo Bérard et Gaëlle Barbosa (29/01/14)