Les portraits de Leslie Vega : Michel, notre représentant, notre catalogue vivant et intelligent… Il avait toujours été là et il partait !

  • Publication publiée :9 juillet 2017
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Chronique de Leslie Vega, Citrouille n°50 – juin 2008

Il avait toujours été là.

Moi qui suis si peu physionomiste que ça en frôle Alzeihmer, je l’ai tout de suite photographié. Peut-être parce qu’il me faisait penser à un nain de jardin en moins ridicule, plus sérieux et d’un mètre quatre vingt. Ça doit venir de la barbe. Mais plus probablement à cause de sa voix, grave, profonde, sonore.
Il arrivait avec sa grosse valise, qui passait à peine dans le petit escalier qui mène au bureau et il ne manquait jamais de nous saluer Agnès et moi avant d’aller travailler avec Arlette.
C’était notre représentant de l’Ecole des Loisirs et moi qui débarquais en librairie, ça m’impressionnait drôlement. J’avais cru comprendre qu’il était là depuis le début de l’Ecole des Loisirs. Autant dire depuis Mathusalem. Enfin, un peu après, vers la fin des années 60. Mais quand même, être là depuis le début, waou!
Michel venait souvent nous aider sur le salon de Limoges. Il s’occupait des auteurs et des livres de l’Ecole des Loisirs, c’était comme un mini stand dans notre stand où tout était classé par ordre alphabétique de titres (sur un salon !). Il me fascinait, il savait interpeller les gens, leur raconter les livres et les vendre.
Quand on a repris la librairie et succédé à Arlette, Agnès et moi, il était toujours là et c’est nous qui travaillons avec lui maintenant. Il racontait chacune de ses nouveautés et nous obligeait presque à les feuilleter page par page pour être sûr que nous ne loupions rien. Ça durait des heures ! Il connaissait son catalogue sur le bout des doigts – auteurs, illustrateurs; je le soupçonnais même de connaître la date d’édition de chacun des livres ! Michel, c’était comme un catalogue vivant et intelligent !
Et puis, il est parti à la retraite. Il avait toujours été là et il partait !
Ça me faisait tout bizarre, j’en rêvais même. Cela s’est fait peu de temps après notre reprise de la librairie et ça me perturbait de le perdre. Un représentant, ça n’est pas rien pour une « petite librairie de province ». C’est un lien non négligeable avec la maison d’édition, il donne vie aux feuilles de papier sur lesquelles figurent les fameuses nouveautés qui prendront vie chez nous. Un bon représentant doit s’adapter aux caractéristiques de chacune des librairies qu’il va visiter, respecter sa politique d’achat, la philosophie du lieu, sans condescendance ni complaisance. Un représentant, c’est un peu l’image de marque d’une maison d’édition, image qui transite par nous pour arriver jusqu’au client. Un bon représentant devient un peu un partenaire à qui l’on peut confier les difficultés et les victoires de nos librairies. Et vraiment, c’est pas rien !
Alors on a hérité de Katell, pas le même style, pas « la vieille école » mais quand elle passe la porte de la librairie on est toujours ravie de la voir. La tradition s’est perpétuée, on travaille dans le plaisir, la bonne humeur, les potins, les papotages.
Et puis, maintenant que j’ai vieilli, les représentants ne m’impressionnent plus, ou pas pour les mêmes raisons…
Pour la petite anecdote, Michel fait toujours partie de la librairie, il n’a jamais cessé d’en faire partie. Toujours au bout du fil quand le cafard, la panique ou tout bêtement la fatigue, me guettent. Je suis allée le voir il y a quelques semaines, et il va bien, merci.
Leslie Vega