Murielle Szac : « Ceux qui ont dit non, une collection pour accompagner l’esprit de révolte et d’indignation propres à l’âge des lecteurs »

Murielle Szac © Bruno Doucey

Ceux qui ont dit non, des éditions Actes Sud Junior, fait partie de ces collections engagées et nécessaires que les libraires Sorcières défendent avec force. A l’occasion de la parution du 50ème titre, Charlie Chaplin, Non à la délation, Cécile Panou, de la librairie Tire Lire, donne la parole à Murielle Szac, directrice « militante » de la collection. Gaëlle Partouche, de la librairie Les Modernes, partage quant à elle sa lecture du récit d’un des plus grands acteurs de tous les temps qui refusa de « balancer » ses amis à la sombre commission McCarthy.

La collection Ceux qui ont dit non s’est rapidement imposée comme nécessaire. Comment est née l’idée de cette proposition ?

L’envie initiale était de redonner aux jeunes des raisons de croire en la politique. Nous vivons dans une époque qui a la mémoire courte et qui privilégie l’instant. Une information chasse l’autre dans un rythme effréné, sans recul, sans mise en perspective. Dans ce tourbillon, nos ados, grandissant sur l’air du « tous pourris », n’ont guère d’espoir que le monde puisse changer. Avec la collection, je voulais rappeler que les problématiques d’aujourd’hui ne sont pas sans passé, et à l’inverse, les combats d’autrefois résonnent toujours aujourd’hui. De tous temps, des hommes et des femmes ont su se dresser et combattre ce qui leur paraissait inacceptable. Cette collection est clairement militante. Dès le départ, Thierry Magnier, qui dirigeait Actes Sud Junior à l’époque et moi-même, étions sur la même longueur d’ondes : accompagner l’esprit de révolte et d’indignation propres à l’âge des lecteurs, leur donner envie à nouveau de s’engager. Voilà pourquoi j’ai opté résolument pour la forme romanesque, afin que les jeunes puissent se projeter dans les personnages. Et à la fin de chaque livre, on trouve les coordonnées d’associations si l’on souhaite poursuivre le combat. Car derrière chaque non, il y a un oui.

Les combats abordés par la collection Ceux qui ont dit non sont évidents, mais comment les déterminez-vous ? Et comment choisissez-vous le personnage ?

J’assume ma subjectivité dans les choix. Les thèmes s’imposent d’eux-mêmes : luttes contre les discriminations, les dictatures et toutes les atteintes aux droits humains. Ensuite, il faut trouver le personnage qui incarne ce combat. Parfois, je veux absolument un personnage, et je le confie à un auteur que j’apprécie et dont je suis sûre qu’ils sont faits pour être ensemble, c’est mon côté « marieuse ». D’autres fois, un écrivain me propose un personnage qui s’impose à lui et je me laisse conquérir par leur duo. Il y a les incontournables, comme Jaurès, Hugo, Gandhi, Mandela, Rosa Parks… Il y a aussi des personnages moins connus, comme Nadia Murad, Harvey Milk, Rachel Carson ou Lounès Matoub. Et il y a ceux qu’on croit connaître comme Charlie Chaplin, mais que l’on attend pas forcément dans un Non à la délation. Ou encore Joséphine Baker, dans un Non aux stéréotypes.

De nombreux auteurs participent à cette collection. Pourquoi cette diversité de plumes ? Sont-ils des spécialistes des causes présentées ?

Non, je ne veux surtout pas de spécialiste ! Plutôt des amoureux.
Le romancier qui va faire vivre un personnage est intimement relié à son combat. Choisir des auteurs engagés me permet de mettre les jeunes face à des adultes qui ont des convictions : Maria Poblete, autrice chilienne exilée pour évoquer les résistantes comme Lucie Aubrac ; Bruno Doucey, poète engagé, pour prêter vie à d’autres poètes engagés tels que Victor Jara ou Pablo Neruda… Les jeunes ont besoin d’adultes qui affichent leurs valeurs. Et qui croient à l’action collective, car nous faisons vivre un collectif d’auteurs.

Quelle a été la volonté de se tourner vers une nouvelle ligne graphique ?

La première version de la collection empruntait trop aux codes du documentaire, elle conduisait vers un malentendu : car il s’agit de fiction. Les magnifiques portraits peints par François Roca ont attiré automatiquement ceux qui aiment qu’on leur raconte des histoires. C’est un ensemble beau et cohérent désormais qui donne envie à celui qui commence à en lire, d’en dévorer beaucoup d’autres. Et souligne par-dessus tout le fait que chaque personnage qui dit non a des liens avec le personnage qui le précède. Notre grande fierté ? Pour fêter le 50ème livre, de nombreux libraires ont fait leur vitrine avec la collection, et cela a marché formidablement sur un public jeune comme adulte.

— Propos recueillis par Cécile Panou, librairie Tire Lire à Toulouse


CHARLIE CHAPLIN
NON À LA DÉLATION

Yann Liotard
Illustration de couverture François Roca
Editions Actes Sud Junior

Non à la délation offre un portrait saisissant du parcours de Charlie Chaplin, qui, sommé par le gouvernement américain d’avouer ses opinions politiques et de dénoncer celles et ceux qui autour de lui auraient les mêmes idéaux, a préféré choisir l’exil en guise de réponse. L’exil n’est pas un choix bien évidemment, mais parfois la seule manière de marquer son opposition, de résister et de sauver sa peau et ses proches.

C’est un parcours douloureux que nous décrit Yann Liotard, auteur de ce nouveau titre dans la collection Celles et ceux qui ont dit NON dirigée par Murielle Szac, le parcours d’un homme qui abandonne tout pour partir loin de la « chasse aux sorcières » qui a marqué les jours noirs de la politique américaine dans les années 1950 : dans le contexte de la guerre froide, la commission présidée par McCarthy traqua d’éventuels agents, militants ou sympathisants communistes aux États-Unis. Plusieurs millions d’Américains sont soumis à des enquêtes judiciaires et policières et notamment les artistes et personnes influentes, comme Chaplin.

Charlie restera fidèle à son enfance par ses films et aussi par ce qu’il a toujours respecté : « Ne balance pas ». C’est ce que lui avait lancé un gamin des rues, comme lui, quand après avoir brisé les vitres d’un commerçant avec son ballon, il s’était enfui. Quel que soit le contexte, et aujourd’hui encore, en France et ailleurs avec les personnes qui migrent, en Ukraine et plus loin, dans les pays en guerre, « Ne balance pas » peut être la plus difficile des formes de résistance à l’échelle individuelle.  

— Chronique de Gaëlle Partouche , librairie Les Modernes à Grenoble