Oui’dire : histoires pour petites et grandes oreilles – par la librairie Les Croquelinottes de Saint-Etienne



Lors du dernier Salon de Montreuil, j’ai fait la rencontre des éditions Oui’dire [photo ci-contre : Pascal Dubois, leur directeur], dont je connaissais un seul album, excellent, Histoires pour petites Oreilles par la conteuse Lila Khaled. Je peux de ce fait vous expliquer aujourd’hui pourquoi cet article consacré aux contes enregistrés a bien à sa place dans un dossier «musique» de Citrouille. Mais rien ne remplacera une visite sur le site de Oui’dire, qui offre des extraits sonores de ses CD. Si vous ne connaissez pas encore, vous risquez de faire une bien belle découverte! Par Amandine Drajner, librairie Les Croquelinottes à Saint Etienne

Studio d’enregistrement des éditions Oui’dire


Au commencement, Oui’dire se nommait L’Oreille hardie. C’est une rencontre avec la conteuse Claudie Obin qui impulse l’aventure. Elle souhaite enregistrer avec Pascal Dubois – le fondateur de Oui’dire, qui travaille alors dans un studio en tant qu’ingénieur du son. Pascal nous raconte cet enregistrement resté gravé dans sa mémoire, pendant lequel il a effectué un voyage «sans émission de carbone». C’est la révélation! Dès lors, Claudie Obin enchaine les enregistrements autour de la mythologie – avec un succès non démenti à ce jour puisqu’ils sont toujours disponibles, compilés en quatre volumes.

Lors de ces enregistrements, il s’est très vite avéré primordial de trouver un accompagnement musical. «C’est comme une revue qu’ils connaissent et que tu photocopies pour des professionnels: un simple noir et blanc, ça leur suffit. De la même façon, pour un disque de contes destinés à des conteurs, tu n’as pas besoin d’ajouter de la musique. Mais s’il est destiné  au grand public, là tu as besoin d’un peu de formes supplémentaires, pour que l’auditeur puisse entrer dans l’histoire plus facilement». La musique peut ainsi faire office, au minimum, de chapitrage, permettant à l’auditeur de s’y retrouver, et d’éviter un trop grand effort de concentration qui mène parfois à l’abandon de l’écoute.

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À l’époque, au milieu des années 80, on ne trouve que très peu de contes enregistrés. Pascal Dubois et Émilie Rossignol – arrivée récemment chez Oui’dire – citent Fragment d’une épopée Touareg d’Ahmed Bouzzine, qui reste pour eux une référence incontournable. De plus, les spectacles «à voix nue», sans accompagnement musical, représente alors 80 % de cette petite production. Il s’agissait donc, pour Ouï-dire qui avait décidé de naître en ayant envie d’autre chose, d’inventer un travail et une technique…  «Au départ, les conteurs pensaient qu’il suffirait de retrouver sur nos disques ce qui se passait sur scène. Mais c’est une illusion. L’enregistrement live, ça marche pour les concerts, mais pas pour les spectacles des conteurs. L’écoute du live d’un spectacle de conte donne l’impression d’être un auditeur «pas invité»! On sent que quelque chose se passe, mais seulement en tant que témoin. Non, il faut que le disque s’adresse réellement à l’auditeur. Il faut pour cela que le conteur fasse un véritable travail mental de recréation. Qu’il trouve un système pour que dans un studio d’enregistrement, sans public, les mots soient tout de même habités.»


Aujourd’hui, les conteurs savent qu’envisager un disque de conte chez Ouï Dire, c’est faire un enregistrement studio; et la plupart du temps, ils sont vite partants pour cette mise en danger, ce travail qui diffère de leurs habitudes. Pour ce faire, ils peuvent compter sur la maestria de la réalisation de Pascal qui œuvre en véritable chef d’orchestre. Au fil des ans, il a appris à utiliser les différents ingrédients de son bagage professionnel. « Mon rôle est d’aider le conteur à aller dans la direction qui me semble être la bonne. Je me mets au service de l’artiste, en proposant des pistes qui vont dans son sens. En réalité, l’artiste a envie d’autre chose lorsqu’il vient enregistrer, il vient me voir en quelque sorte pour que je secoue «le cocotier» , pour que je trouve de nouvelles pistes à explorer en matière sonore


Ce concept intégré par le conteur, le processus de création proprement dit peut alors commencer… Et l’évidence s’impose aussitôt: la prise de son en studio n’a rien à voir avec la prestation scénique! Au conteur qui a l’habitude de s’exprimer devant tout un public, et souvent d’utiliser une gestuelle, parfois en silence, on demande en studio de s’adresser via des micros à un seul futur auditeur, par essence absent à ce moment-là! Autre règle nouvelle pour lui: en studio le conteur a le droit de se tromper! «Tout le poids qui pèse sur ses épaules se relâche soudainement» nous confie Pascal. Et puis d’ordinaire un conteur improvise, bien sûr… Mais la spécificité de l’enregistrement en studio suppose un canevas davantage ficelé avant de démarrer. «Avec les années, le temps de préproduction s’est développé, et nécessite de plus en plus d’échanges; du coup, je demande maintenant au conteur de s’enregistrer chez lui, pour trouver son interprétation finale, car j’ai besoin de matière pour gagner du temps en studio. Et puis au moment de l’enregistrement, il ne faut plus se poser des questions de fond sur l’histoire, pour être entièrement à l’écoute des problématiques d’interprétation.»


C’est à ce moment du processus qu’interviennent les musiciens. Combien? À propos de leur nombre, Pascal sourit: «Aujourd’hui faire une création telle que Sans les mains et en danseuse (Pépito Matéo), avec trois musiciens est économiquement un non-sens! Heureusement, quelques bonnes fées (également connues sous le nom de Subventions) se penchent sur notre berceau !». Si au début elle faisait principalement office de chapitrage, la musique est devenue par la suite pour certains enregistrements une réelle création, qui a pris une place à part entière, et qui parfois emprunte soudain une direction inattendue. «Pour Récit de vie en tant de guerre, nous avions souhaité un musicien multi-instrumentiste libanais, pour accompagner Jihad Darwiche (qui est lui-même d’origine libanaise). Et puis en écoutant, je me suis rendu compte que la musique rendait le conte géolocalisable, alors que les propos de Jihad sont universels. D’où, au final…  le piano de Henry Torgue! Ce dernier s’est tout de suite installé dans une sorte de transe musicale, et ça a fonctionné. On s’est laissé déborder – un jour entier d’improvisation! –  et du coup sur le CD, Henry joue presque tout le temps! Je m’étais dit que je pourrais couper. Mais c’est Jihad qui a préféré enlever des phrases!» Pour comprendre davantage les propos de Pascal, on peut par exemple écouter en ligne l’histoire Combien d’enfants? qu’on trouve sur ce CD, qui dure le temps très court d’une question et de sa réponse douloureuse, mais qui est largement enrobée des notes du piano qui amène et clôt les quelques mots.

Comment les musiciens s’inscrivent-ils globalement dans ces projets de création contée? «L’intérêt de l’improvisation du conteur, c’est la double caractéristique assez étonnante qui fait que l’on sent la fragilité mais aussi toute la force dans sa voix. La musique improvisée, c’est pareil. Alors, pour jouer de cette correspondance, on a résolument fait le choix de l’improvisation musicale. Et il se passe très souvent un truc étrange que je ne m’explique pas : tu fais improviser un musicien sans qu’il ait auparavant entendu le conteur, et quand tu montes l’histoire et la musique ensemble, t’as l’impression que la musique a été composée en toute connaissance de la façon dont le récit est conté! Bien sûr, que l’état général de la musique colle, c’est normal, car je travaille en amont avec les musiciens pour traduire en mots ce que je souhaite d’eux – je leur propose aussi des panorama d’images inspirés par l’histoire – mais que le timing colle aussi souvent, c’est bluffant! En fait… on transmet mais on ne sait pas comment!». Et de cette alchimie magique naissent parfois des résultats étonnants. Pour Sans les mains et en danseuse, de Pépito Matéo, Pascal a invité une trompette, un accordéon diatonique, et une basse électrique. «Je  souhaitais un univers musical un peu surprenant, un trio incongru, pas de matière sonore habituelle. Les musiciens eux-mêmes étaient soufflés par le résultat. Une magnifique surprise que personne n’aurait pu anticiper!».


Certains projets laissent moins de place à l’improvisation musicale.  Ainsi pour les projets «petite enfance», le musicien est obligé de tenir compte de la ligne mélodique et rythmique du récit imposée par la tranche d’âge pour laquelle le conteur s’exprime. Il doit d’abord prendre le temps d’analyser ce qui se passe,  pour réfléchir à la création d’un petit  «écrin musical». Le process est donc généralement beaucoup plus long ici. Pascal monte d’abord une première maquette de la voix du conteur, le musicien l’écoute et écrit alors la musique, puis l’enregistre, et enfin le conteur réenregistre la voix sur la musique.… D’ailleurs qu’en est-il de la musicalité propre à la voix du conteur? «Elle est parfois moins forte qu’en spectacle, une fois le conteur privé de la présence et de la gestuelle scéniques… Ou parfois plus forte, et l’on s’aperçoit alors que la mise en scène du spectacle originale, ou son éventuelle musique, amoindrissait le propos du conteur…»


Maintenant, en attendant le CD qui naîtra du projet en cours, pharaonique, de l’enregistrement de  l’histoire du Mahabarata, avec seize musiciens et une seule conteuse qui fera toute les voix, nous vous souhaitons une belle écoute du catalogue déjà bien fourni et de très haute qualité des éditions Oui’dire!


Propos recueillis  à Valence le 3 février 2014, auprès de Émilie Rossignol et Pascal Dubois des éditions Oui’dire.

Discographie (cliquez sur les liens pour écouter des extraits des CD) :