Nada Matta, Prix Sorcières Albums 2017 : «Nos histoires si petites peuvent devenir grandes dans le partage sincère.»

Nada Matta

JULIE EVEN: Nous vous découvrons, Nada, dans cet album Petite Pépite paru aux éditions MeMo, mais j’imagine que le dessin et la peinture font partie de votre vie depuis longtemps?
NADA MATTA: Je dessine et peins depuis petite. Pendant mon enfance, au Liban, j’ai vécu de longues périodes où je ne pouvais pas aller à l’école ou sortir de la maison, à cause des événements. Alors j’avais beaucoup de temps pour lire, dessiner, créer… C’était ma façon de m’évader.

Ce projet d’ouvrage a-t-il été celui d’un album pour la jeunesse dès l’origine?
Oui. J’étais dans l’avion pour Beyrouth, je rentrais de Paris, et c’est là que l’idée du livre s’est imposée à moi. J’ai repensé aux dialogues avec les vendeurs et vendeuses dans les magasins, chaque fois que je voulais acheter quelque chose à ma fille «différente» – sa différence à elle, c’est la trisomie 21. Je me suis dit que c’était un excellent point de départ. Puis j’ai enchaîné avec les questions que je me suis posée moi-même lorsque j’étais enceinte d’elle, des questions pleines d’appréhension et de curiosité. Je me suis dit que tout ça pouvait se reformuler avec plus de poésie… Après le premier jet, j’ai cependant constaté que ce livre ne serait pas clairement classable dans telle ou telle catégorie. On pourrait dire, comme dans ses premières pages, que c’est un album pour les enfants de neuf ans, mais… En tout cas ça m’a plu de faire un livre qui ressemble à la petite fille, un peu hors du temps.


Pourquoi ce choix, à la fin de l’album, de témoigner explicitement, par écrit, de votre histoire?
Dans l’attente d’une réponse, après l’envoi de mon manuscrit, j’ai eu le temps de me poser mille questions, d’envisager une réécriture de l’histoire davantage pour les ados ou les adultes. J’en ai écrit différentes versions: résumé, texte plus élaboré… Lorsque j’ai rencontré les éditrices des éditions MeMo, je leur ai fait lire la version finale de ce texte afin de leur donner un peu plus de moi, et partager avec elles les origines de  l’album. Je leur ai dit que ça serait peut-être bien d’en mettre un extrait dans le livre. Ce texte les a beaucoup touchées et elles m’ont proposé de l’intégrer tel quel. J’en ai été heureuse, même si ensuite, après la parution, ça a été un peu plus difficile: j’avais la sensation de m’être mise nue face à une foule de personnes habillées!

Comment  les éditions MeMo vous ont-elles contactée?
Christine Morault m’a appelée alors que je me trouvais dans une chambre d’hôtel, entourée de mes enfants (j’en ai sept!), plongée dans les bruits, assise par terre pour mieux me concentrer… Et elle m’a annoncé vouloir éditer Petite Pépite! Ma joie a été immense. Un peu plus tard, je suis allée à Nantes avec mes planches, pour les lui remettre. C’est là que j’ai fait réellement connaissance avec Christine et Yara Naschimento. Nous avons décidé de certains ajustements pour le livre, et quand il est sorti j’ai eu l’impression de leur avoir confié un diamant brut, et qu’elles en avaient fait un bijou! Une très belle rencontre…

Cette alternance de planches noires et blanches et d’autres plus colorées correspondait-elle à des humeurs, un regard nuancé sur votre fille ou tout simplement à vos envies de peintre?
À la base j’avais fait un livre en noir et blanc uniquement. Puis les éditrices ont souhaité que je mette de la couleur. Alors j’ai voulu garder le noir et blanc, mais surprendre le lecteur avec quelques dessins en couleur, comme peut surprendre cette surprenante petite fille…

Que représente un prix comme le Prix Sorcières lorsqu’il s’agit de son premier album?
C’est fou de recevoir le Prix Sorcières pour un premier album! Je suis émerveillée du chemin parcouru depuis la naissance de Zeina. Qui aurait pu prévoir ça? J’ai voulu faire ce livre car je voulais partager la force incroyable de la vie, qui m’a portée en avant bien au-delà des regards, des conceptions et des formes convenus. Et ça m’agrandit le coeur de voir que ma petite histoire, partie si loin d’un petit village du petit Liban, a gagné un prix important! Avec l’attribution de ce prix, je vois que nos histoires si petites peuvent, elles, devenir grandes dans le partage sincère.

Propos recueillis par Julie Even, Librairie Sorcière Le Préau à Metz


Nada Matta dresse pour nous le portrait de sa Petite Pépite, sa fille, en répondant aux questions auxquelles elle se trouve confrontée quand le moment vient de lui acheter des chaussures, des habits, des jeux ou des livres… Pépite a neuf ans mais elle est petite et son pied est particulièrement large… Elle veut un livre mais elle ne sait pas lire… Un jeu? Oui, mais un jeu pour six ans suffira…  Car Petite Pépite est différente des enfants de son âge… et un peu magique aussi! Mais après tout, aucun être humain ne ressemble à aucun autre; les différences sont parfois juste plus ou moins visibles et il suffit d’être curieux, d’avoir envie de s’approcher pour découvrir l’autre… Nada Matta nous livre un album tout simplement bouleversant, autant par son texte que par les magnifiques portraits de sa fille. Une véritable déclaration d’amour conclue par une postface à lire et à faire lire de toute urgence.