Nathalie Soussana et deux interprètes, lors du collectage au Maroc |
Nathalie Soussana, collecteuse pour le livre-disque Berceuses et comptines berbères, est aussi chargée de production pour un groupe de musique klezmer, Yankele, et directrice d’ensembles vocaux (chorales pour enfants et pour le troisième âge). Parallèlement à ses études musicales, elle a entamé une formation théâtrale et se consacre à l’écriture et la mise en scène de spectacles musicaux. Nous lui avons posé trois questions…
Citrouille: Vous avez collecté les chants de nombreux livres-disques Didier Jeunesse, est-ce que le collectage des Berceuses et comptines berbères a quelque chose de singulier?
Nathalie Soussana: Tout à fait, car pour la première fois je suis allée faire le collectage sur place, au Maroc. Une superbe aventure pendant laquelle j’ai travaillé en collaboration avec un chercheur, Monsieur Abdelmalek Hamzaoui. Grâce à lui j’ai pu aller collecter dans des villages, aller à la rencontre des Berbères marocains. Le travail a duré deux ans. Il y a eu tout d’abord un travail de recherche pour trouver les interlocuteurs, les interprètes, me familiariser avec la culture et l’histoire des Berbères, puis le collectage qui nous a permis de construire un répertoire de soixante-dix chansons a capella. Nous en avons finalement gardé vingt-sept, mais le choix fut difficile! J’ai commencé par faire une première sélection et l’éditeur est ensuite intervenu. Il est précieux d’avoir un regard extérieur, quand on est très impliqué dans le projet. Les enregistrements des musiques, arrangées par notre directeur musical, Jean Christophe Hoarau, ont ensuite eu lieu en studio sur des instruments traditionnels.
Quelle est votre principale motivation? Le résultat ou le collectage?
De nombreuses choses me motivent, tout d’abord les rencontres, voir une maman qui apprend un couplet à son petit garçon par exemple. Mais aussi les voix magnifiques, la qualité artistique finale de l’album. Dans ce livre-disque nous avons travaillé avec des artistes professionnels mais également avec des amateurs. Toutes ces voix ont su me toucher. La transmission est au cœur de la collection, c’est le point de départ et de retour, tout va et vient à partir de cette notion. Il y a trois niveaux de lecture dans le livre-disque, la phonétique, l’alphabet et la traduction, ce qui permet de transmettre une langue.
Est-ce que ce besoin d’ailleurs, de s’enrichir de cultures différentes est une manière d’exister?
Je me sens citoyenne du monde, et comme beaucoup aujourd’hui je suis issue de multiples cultures, une maman qui vient du Maroc et un papa français. La richesse des cultures me parle. J’aime découvrir l’autre car il m’intéresse. Nous sommes tous des êtres humains, avec des peurs et des joies similaires. Toutes les mamans du monde ont les mêmes aspirations, les mêmes angoisses pour leurs enfants… Nous avons souvent une manière très proche de dire les choses, même si c’est dans une autre langue ou avec d’autres images, car au fond quelque chose nous unit. C’est ce que j’ai envie de dire à travers ces livres-disques. Et dans un monde qui paradoxalement nous uniformise ou met en avant nos différences, nos individualités, un monde qui nous oppose, j’ai envie d’aller chercher les choses qui nous rassemblent et qui font que l’humanité est belle.
Propos recueillis par Citrouille
Avec ce nouvel opus de la collection Comptines du monde, nous entrons dans la culture berbère. On y entend des comptines et berceuses mais aussi des chants plus engagés: femmes revendiquant leur place dans leur société, travail de la terre, difficulté de quitter un territoire, etc. Comme toujours dans cette collection, chaque chanson, interprétée dans sa langue d’origine, est écrite dans son alphabet originel, réécrite dans une phonétique latine puis traduite en français. À la fin de l’ouvrage, un court texte permet pour chaque chant d’en comprendre le sens, d’en découvrir ses origines, de savoir à quel moment de la vie il est particulièrement chanté. Aux côtés d’Abdelmalek Hamzaoui, Nathalie Soussana a réalisé un beau travail de collectage et l’on reconnaîtra quelques airs familiers si l’on aime le répertoire d’Idir. Les musiques et les interprètes sont de qualité exemplaire, régal pour nos oreilles et tout notre corps qui ne peut rester immobile. Les illustrations colorées et réalistes de Virginie Bergeret nous permettent de découvrir la vie, les paysages et la peinture berbère. Elle y glisse de nombreuses références aux motifs géométriques que l’on retrouve dans les tatouages, les tissages et même l’alphabet amazigh. Voici donc un très beau livre CD, accessible à tous, doux, rythmé et chatoyant! – Librairie Les Pages du Donjon