Envols d’Enfance: même pas peur !

Autoportrait © Cendrine Genin
«Je me retrouve aujourd’hui dans le monde entier, avec toute ma littérature enfantine, et les pédagogues ont peur de moi. Ils se mettent à la place de l’enfant, mais ils ont peur avant que l’enfant ait peur! Moi j’ai été élevé avec les contes de Grimm et les contes de Bernstein, des histoires effrayantes» (Tomi Ungerer)

Envols d’Enfance, c’est avant tout Cendrine Genin et sa formidable énergie mise au service d’une association qu’elle a créée en 2006 et qui vise à venir en aide à l’enfance en difficulté, à l’aide d’outils créatifs, sous forme d’ateliers accompagnés par des artistes (auteurs, illustrateurs, photographes, etc.) En 2008, les premières productions des enfants avec des artistes avaient déjà fait le sujet, chez Gallimard Jeunesse, d’une publication soutenue par L’ALSJ. Quand j’ai su que Cendrine avait poursuivi l’aventure en organisant depuis des ateliers autour de la thématique de la peur, avec des référents-partenaires aussi passionnants que Tomi Ungerer, Philippe Meirieu et Boris Cyrulnik, j’ai tout de suite eu envie de la revoir

Même pas peur!, l’ouvrage né de ces ateliers, a bénéficié d’un véritable travail éditorial d’Hedwige Pasquet, coordonné par Sandrine Dutordoir, et a donc fait suite à un énorme travail de terrain, bâti sur une réflexion profonde en amont et une méthodologie rigoureuse. Les artistes participants sont parmi ceux que l’ASLJ défend depuis longtemps: Antoine Guilloppé, Bruno Heitz, Fred Bernard, Michel Piquemal, Marie Desplechin, Serge Bloch, Timothée De Fombelle, et de nombreux autres. Les institutions, les médiathèques, les libraires peuvent s’emparer du projet en organisant des expositions, des ateliers, des rencontres avec les artistes et les enfants. La librairie Les Modernes a, à ce titre, rédigé une charte de mise en place des actions possibles en librairie (consultable sur leur site internet, lesmodernes.com).


GAËLLE PARTOUCHE – librairie Les Modernes: Après des premiers ateliers et un premier ouvrage sans thématique identifiée paru en 2008, pourquoi et comment en es-tu venue à choisir le thème de la peur pour ce projet?
CENDRINE GENIN: Notre travail est en relation avec les artistes et les équipes afin de tenter de redonner aux enfants une identité dans la réalisation et l’estime de soi, montrer un travail achevé, réalisé avec le soutien de chacun. Au vu du contenu des ateliers des années précédentes, la peur s’est imposée comme un thème premier, une évidence. Hedwige Pasquet, présidente de Gallimard Jeunesse a immédiatement partagé mon enthousiasme! Ce thème s’est révélé d’une richesse infinie, et c’est avec plaisir que nous continuons à l’accompagner, sans le quitter véritablement …


Comment choisis-tu les artistes intervenant dans les ateliers auprès des enfants en difficulté, et dont les travaux sont reproduits dans le livre?
  L’aventure d’Envols d’Enfance est tissée de liens d’amitié profonds, traversés de partages. Chaque artiste est engagé cœur et âme. Le choix n’est pas figé, il part d’une rencontre, une envie commune, pour les artistes déjà présents, et ceux qui sont arrivés en chemin. Les participations diffèrent, en effet, on ne saurait être égal devant cette enfance «empêchée», sans l’être soi-même. Chacun fait alors avec son possible. Pour ce projet, nous avons souhaité élargir les outils artistiques, afin de déployer de plus larges moyens d’expression. Pour chaque artiste, il s’agit d’un engagement intime, une prise de risque. Je me souviens de moments partagés avec Emmanuel Guibert et de son impossibilité de répondre à une «commande»… le propos était si légitime que cela m’a renvoyée à l’origine de notre action, et nous avons trouvé ensemble la sortie la plus vraie pour le projet, en sachant qu’il n’y aurait peut-être rien au bout…  Avec Serge Bloch, également, de quelle peur parlait-on, celle des grands, des petits, la nôtre?… Et tant d’autres que je pourrais citer, mais surtout la rencontre avec Tomi Ungerer. Je le connaissais, mais j’ai attendu le moment juste pour le solliciter et lui présenter le projet: cela devait être lui et pas un autre, non par obstination mais bien parce que l’œuvre de Tomi est entièrement construite et bâtie sur la peur. Par chance, il a acquiescé de suite et m’a proposé très vite un projet plus «contenant», afin de s’impliquer davantage. Avec sa générosité, il a répondu aux peurs des enfants comme un père, et m’a confié que sa plus grande peur était la peur de la vie, à laquelle il s’était efforcé de répondre… en vivant! Merci, Tomi, pour ce cadeau.


Pour la partie pratique-ateliers, sachant qu’il s’agit d’enfants en difficulté et du thème révélateur de la peur, comment ne pas être dans le thérapeuthique et sans susciter du «trop»? Comment les artistes canalisent-ils cela?
  Par choix personnel, j’ai immédiatement inscrit notre travail hors de tout aspect thérapeutique, qui est un écueil qu’il me semblait devoir éviter de toute urgence. Nous proposons des outils artistiques, avec un travail et un savoir faire de qualité. Envols d’Enfance n’a aucune prétention à proposer de la thérapie ou de l’art thérapie, des professionnels sont absolument compétents en ce domaine pour que chacun soit à sa place. Si ce projet a trouvé aujourd’hui du sens, on m’a dit un jour que c’était parce qu’il était «vrai», et sans autre prétention. Les ateliers sont le «nerf de la guerre». La rencontre artiste/enfant est à la fois fragile et puissante, donc unique, sans filet. Il s’agit de préparer en amont, avec les équipes, les meilleures conditions pour accueillir les enfants, avec des bilans d’évaluation. Nous sommes des passeurs, des dépositaires et ce qui advient avec les enfants ne nous appartient pas, il faut être très vigilant à rendre cette parole ou ce geste à son destinataire. C’est pourquoi il est indispensable d’avoir ce lien avec l’équipe qui accompagne, dans l’intérêt de l’enfant. Je dis toujours qu’un atelier est un cadre, à l’intérieur de ce cadre chacun est libre de faire, ou non, il n’y a pas de finalité requise, être là est déjà grand. Si l’enfant crée, fait, autour de ce qui lui est  proposé, il a toute la place pour le faire, et le résultat est bien loin du thérapeutique. Il fait du beau, le reste, c’est une autre histoire…


Quelle suite aimerais-tu donner au projet Envols d’Enfance, celui sur la peur et le prochain?
  Envols d’Enfance a pu mener à bien cet ouvrage Même pas peur, qui représente trois années de travail soutenues par de nombreux partenaires. La sortie du livre sera accompagnée d’une Charte des librairies, projet pilote mis en place avec ta librairie, Les Modernes, ainsi qu’une Charte des bibliothèques-médiathèques, diffusée au niveau national, accompagnée par le Cljbxl et le Wolf, projet pilote mis en place à la Mémo d’Oullins. Des partenariats prennent aussi tout leur sens auprès de professionnels du livre et de l’enfance: la Bnf et la Revue des livres pour enfants, l’Agsas, Grain de Sel… De son côté le site Gallimard Jeunesse propose un référencement et des fiches pédagogiques… Le prochain thème est en route, il est conçu en amont de manière souple et inventive, pour répondre aux besoins actuels des structures et aux attentes de chacun, afin d’être «accompagné» de la meilleure manière possible! Tout un programme… Mais je veille avec vigilance à la lisibilité du projet, pour ne pas s’éparpiller, pour ne pas perdre en qualité.


Propos recueillis par Gaëlle Partouche, librairie Les Modernes