Oh, tell me the truth about love! – par Geneviève Brisac

 © John Foley (agence Opale)

Geneviève Brisac dirige les collections Mouche, Neuf et Médium de L’École des loisirs depuis 1989. Elle est également l’auteur d’une dizaine de livres pour adultes, et d’une vingtaine pour enfants. Mais dites-nous, Geneviève, pourquoi écrivez-vous et publiez-vous pour les enfants?…

Ce sont les livres que l’on a lus enfant qui laissent dans le cœur l’empreinte la plus profonde, avait coutume de dire Graham Greene. C’est étrange, on les évoque rarement.

Je me souviens, comme si c’était hier, de pages de Peter Pan lues clandestinement dans le couloir sombre et coudé de l’appartement de mes grands-parents. Je vois sa fiancée, Maimie Mannering, endormie dans les jardins de Kensington. Et mon cœur se serre, car je crois qu’elle est morte.

J’entends distinctement le traîneau de la Reine des Neiges, le bruit du morceau de miroir magique qui pénètre l’œil du petit Kay. Et je tremble, car je comprends qu’il vient de perdre son humanité, le sens du bien et du mal.

Je ne suis jamais descendue du dos d’Akka, l’oie sauvage héroïne de Selma Lagerlöf. J’entends les voix des pauvres gens de Dalécarlie, leurs plaintes, leur misère, leurs disputes. Et soudain, je comprends le monde.

Je me souviens de pages entières de Joseph Balsamo, alchimiste, médecin, aventurier, connu aussi sous le nom de comte de Cagliostro, infernal comploteur dans l’affaire du Collier de la reine qui d’ailleurs le perdit. Je sais le bruit des vagues sur les rochers de l’Ile Mystérieuse. J’ai tant rêvé du Rayon Vert que j’ai fini par le voir.

Ainsi en va-t-il des livres qui nous façonnent, sans faire de bruit.

Et c’est à cela que je m’acharne chaque jour, en publiant sans cesse de nouveaux livres pour les enfants. Pour qu’ils soient, simplement, plus libres.

J’ai longtemps pensé qu’il existait quelque part un livre géant, une sorte de pays. Les livres sont des pays, des maisons, des abris, et des boucliers, petits objets parallélélipédiques en forme de porte et de toit. Dans ce livre géant étaient rassemblées tous les histoires. Celle de Cyrano de Bergerac et celle de Don Quichotte de la Mancha, celle de la belle Portia et d’Helen Keller,la jeune fille aveugle sourde et muette qui n’accepta pas son destin. Celles de Franny et Zooey Glass, porte-paroles angoissés et poétiques du frère aîné absolu des écrivains modernes. Il y aurait Fantômette, mascotte révoltée, flirtant avec Aramis l’énigmatique. Numa Pompilius qui aimait plus que tout la justice. Et tant d’autres, et tant d’autres.

C’est ridicule? Légèrement. Comme le sont toutes les passions.

Oh, tell me the truth about love! disait, je crois, Wystan Auden. C’est la devise secrète de tous les chercheurs de livres.

Geneviève Brisac